Radhia Nasraoui, son engagement pour les droits de l’homme et contre la torture en Tunisie

Ecrit par Jean Albert, Ludivine Tomasso/ Editeurs: Emilie Dessens, Jacqueline Duband 

Lundi, 17 Janvier 2011 19:04

 

Radhia Nasraoui est une avocate tunisienne qui s’est toujours battue pour faire respecter les droits de l’homme dans son pays.
Présidente de l’association contre la lutte de la torture en Tunisie, son travail lui a valu, à de nombreuses reprises, de faire l’objet de violence. Il est de plus en plus difficile pour elle de remplir ses fonctions d’avocat dans un climat de répression généralisée mis en place pour garantir au Président Ben Ali et à ses proches la pérennité du pouvoir.

 

Son travail pour faire respecter les droits de l’homme en Tunisie.

 

Cette mère de trois enfants est mariée à Hamma Hammami, le porte-parole du parti communiste des travailleurs tunisiens qui a été interdit par le gouvernement du Président Ben Ali.
Son travail, reconnu internationalement, a toujours porté sur la défense de cas difficiles concernant des prisonniers d’opinion ainsi que des personnes ayant des différends avec les proches du pouvoir.
Elle fait elle-même l’objet d’une étroite surveillance et elle a dû faire face, à plusieurs reprises, à des actes de violence.
En 1998, une vague d’arrestations touche une vingtaine de personnes en Tunisie, dont son mari. Elles sont accusées d’appartenir au parti communiste des travailleurs tunisiens, une organisation qui n’est pas reconnue par le gouvernement tunisien.
Elle est alors engagée pour défendre plusieurs accusés avant d’être à son tour arrêtée. Elle est alors accusée d’ « aide à la tenue d’une réunion d’une association qui appelle à la haine » et pour avoir permis à son mari (qui a fui devant les accusations) d’entrer en contact avec certains accusés.
Le procès traine en longueur et Radhia Nasraoui est assignée à résidence dans Tunis pendant plus d’un an.
Durant son procès,  elle  réaffirme son engagement à défendre les prisonniers d’opinion. Elle souligne également que l’interdiction, dont font l’objet certaines associations  en Tunisie, est contraire aux conventions internationales auxquelles le pays adhère, notamment l’article 22 du Pacte international relatif aux droits politiques et sociaux « Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts ».
En 2004, elle entame une grève de la faim afin de protester contre les pressions auxquelles elle doit faire face et l’inaction des autorités concernant la prise en charge de sa plainte. En effet, alors qu’elle rend visite à un de ses anciens clients, la police intervient au domicile de ce dernier. A cette occasion, Radhia Nasraoui est prise à parti et violemment jetée sur le sol. Bien qu’elle ait porté plainte, aucune suite n’y est donnée.

 

Harcèlements et violence, son lot quotidien

 

Mises à sac de son bureau à de multiples reprises, placement sous écoute, tentatives d’intimidation… sont le quotidien de Maître Nasraoui.
A de nombreuses reprises, elle a fait l’objet de violence de la part des autorités.
En 2005, elle participe à une manifestation pacifique pour protester contre l’arrestation de Mohammed Abbou, avocat et président du Conseil national pour les libertés en Tunisie, arrêté pour les motifs suivants : dissémination de fausses informations, diffamation, incitation à enfreindre la loi… après la parution d’un article dénonçant la pratique de la torture en Tunisie.
Lors de cette manifestation, Maître Nasraoui est brutalisée : on lui casse le nez et elle  souffre de nombreuses contusions suite aux coups reçus.
Le 18 Avril 2008, alors qu’elle essaye de rendre visite à un de ses clients, Slim Boukhdir, un journaliste tunisien, dans la prison dans laquelle il est détenu en Tunisie, une trentaine de policiers la prennent à partie et l’obligent à regagner sa voiture.
Ils la suivent jusqu’à ce qu’elle arrive chez elle.
Plus récemment encore, en 2009, alors qu’elle devait rencontrer un de ses clients en dehors de la ville de Tunis,  plusieurs inconnus étaient intervenus l’obligeant à battre en retraite dans sa voiture. Quelques jours avant l’incident, son client, Ammar Amroussia, avait porté plainte pour coups et blessures contre des membres des forces de l’ordre.
C’est aussi peu de temps avant cet incident, que sans raison apparente, un officier des douanes de l’aéroport décide d’effectuer une fouille au corps. Maitre Nasraoui refuse et après plusieurs heures d’attente, les services de sécurité l’escortent hors de l’aéroport.
A plusieurs reprises Maitre Nasraoui s’est vu refuser le droit de quitter le territoire tunisien.
Malgré les menaces, les pressions et la violence, elle ne baisse pas les bras et continue de se battre pour la liberté en Tunisie et contre l’usage de la torture.
En plus de ses activités d’avocate, elle est présidente de l’association de lutte contre la torture en Tunisie. L’association se bat pour sensibiliser l’opinion publique concernant ces pratiques qui ont toujours lieu dans les prisons tunisiennes.

 

Le problème de la torture et de la loi anti-terrorisme en Tunisie

 

La Tunisie possède pourtant une loi qui non seulement interdit la torture mais qui en fait un crime punissable d’une lourde peine de prison. L’article 101 du code pénal tunisien stipule en effet que « est puni d’un emprisonnement de huit ans, le fonctionnaire ou assimilé qui soumet une personne à la torture et ce, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ».
Le terme torture désigne « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elles ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou lorsque la douleur ou les souffrances aiguës sont infligées pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit. »
La peine a été ramenée à cinq ans en 2005.
La Tunisie est également partie à la Convention contre la torture depuis 1988, soit juste après l’arrivée au pouvoir du président Ben Ali.  Le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture s’était vu refuser par deux fois sa demande de visite  en 1998 et en 2007.
Le 10 décembre 2003, une loi relative « au soutien des efforts internationaux de  lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent » a été mise en place en Tunisie. Dès son entrée en application, la loi a généré de fortes inquiétudes qui n’ont fait que se confirmer, malheureusement, par la suite.
Sous couvert de lutte contre le terrorisme, le gouvernement tunisien a arrêté des dizaines de jeunes pour leurs engagements auprès de syndicats ou de partis politiques car le texte de loi donne une définition assez générale du mot « terrorisme » qui peut être interprété différemment par le gouvernement et les juges : « toute infraction quels qu’en soient les mobiles, en relation avec une entreprise individuelle ou collective susceptible de terroriser une personne ou un groupe de personnes, de semer la terreur parmi la population, dans le dessein d’influencer la politique de l’État et de le contraindre à faire ce qu’il n’est pas tenu de faire ou à s’abstenir de faire ce qu’il est tenu de faire, de troubler l’ordre public, la paix ou la sécurité internationale, de porter atteinte aux personnes ou aux biens, de causer un dommage aux édifices abritant des missions diplomatiques, consulaires ou des organisations internationales, de causer un préjudice grave à l’environnement, de nature à mettre en danger la vie des habitants ou leur santé, ou de porter préjudice aux ressources vitales, aux infrastructures, aux moyens de transport et de communication, aux systèmes informatiques ou aux services publics ».
Des membres d’associations, non-reconnues par le gouvernement, se font donc régulièrement arrêter sous le prétexte de « terrorisme ». En effet, le texte de loi ne cite pas expressément l’utilisation de la violence comme définissant une action terroriste. On peut alors se demander ce qu’il en est des manifestations pacifiques. Et c’est là que le bât blesse.
Cette loi permet donc l’arrestation et la détention de prisonniers d’opinions. En conséquence, elle porte sérieusement atteinte à la liberté d’expression dans un pays où celle-ci était déjà difficilement garantie et protégée.
Comme l’a souligné un responsable des Nations-Unies en visite en Tunisie en janvier 2010, la loi présente de nombreuses lacunes.
En plus de la définition vague qu’elle propose du terrorisme, cette loi permet de punir des personnes pour des intentions et non pour des faits réellement commis. En effet, il est possible d’être arrêté pour avoir simplement regardé des sites internet ayant un lien avec des questions religieuses.
Un rapport de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), présidé par Radhia Nasraoui et le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie, intitulé « La torture et la loi antiterroriste du 10 décembre 2003 en Tunisie Faits et témoignages afin que cesse l’impunité » publié en 2008, dénonce les déviations de cette loi.
Les personnes arrêtées dans le cadre de la loi anti-terroriste sont détenues dans des lieux secrets sans que leur famille ne soit mise au courant.  Ce type d’emprisonnement « terrorise » les familles et la population car il crée un climat de peur et de terreur permanent ; des hommes, femmes, enfants pouvant disparaître à tout instant sans qu’aucune explication ne soit donnée.
Les anciens détenus ont tous déclaré à la suite de ces interpellations qu’ils avaient fait l’objet de mauvais traitements et qu’on les avait soumis à la torture pour leur arracher des aveux. Comme chacun sait, la torture permet d’obtenir n’importe quel aveu.
Tous s’accordent à dire que les premiers jours de torture se déroulaient toujours au sein du Ministère de l’Intérieur.
Les juges n’hésitent pas ensuite à utiliser ces « aveux » pour condamner les suspects.
Le rapport avance le chiffre de 1250 victimes de la loi anti-terroriste et de la torture.
70% des personnes arrêtées sont âgées entre 17 et 27 ans. Les condamnations peuvent aller jusqu’à la peine capitale.
Le cas de Mimoun Alloucha, un jeune handicapé mental, condamné pour des actes de terrorisme révèle bien le caractère arbitraire de ces arrestations.
Agé de 27 ans, ce dernier a été arrêté en décembre 2006 et de nombreux rapports psychiatriques le décrivent comme n’ayant pas toutes ses capacités mentales. Durant sa détention, il a subi de mauvais traitements et des sévices sexuels qui n’ont fait qu’aggraver son cas.
Malgré les preuves dont disposait la défense, il a été condamné en 2007 à 15 ans de prison ferme pour avoir participé à des manifestations s’opposant aux forces de l’ordre fin 2006 début 2007 dans la région de Soliman.
Grâce aux témoignages recueillis auprès des familles et des détenus, le rapport a pu mettre en évidence le caractère systématique des tortures.
« Généralement, les séances de torture ont lieu au début de la détention et commencent par la mise à nu du détenu. Les méthodes les plus utilisées sont : les insultes, l’utilisation d’un langage ordurier, les menaces de viol des détenus ou de leurs parentes proches (la mère, l’épouse, la fille, la sœur…), les menaces de mort, la privation de sommeil pendant plusieurs jours de suite, la privation de nourriture, les coups sur toutes les parties du corps avec utilisation de bâton, de cravache, de câbles électriques, la falqua, le « poulet rôti », la « baignoire», le  balanco, la suspension par les mains au plafond, les chocs électriques, les sévices sexuels, l’introduction de divers objets dans l’anus, les brûlures de cigarettes ou de chalumeau, etc. »
Le maintien au pouvoir du Président Ben Ali et de ses proches depuis plus de 23 ans passe par la répression de la liberté d’opinion et d’expression et la mise en place d’un régime autoritaire qui ne dit pas son nom.
Maître Nasraoui se bat, comme des milliers de tunisiens et de tunisiennes, pour l’application des droits de l’homme et pour que l’opinion mondiale découvre que, derrière les images de plages de sable blanc et de paradis pour les touristes, se cache en fait un régime répressif qui fait peu de cas de la liberté d’opinion et pratique la torture.

 

Des émeutes qui touchent le pays et la fin d’un régime

 

Les émeutes qui touchent en ce moment même le pays et qui ont fait de nombreux morts se sont étendus à de nombreuses villes tunisiennes pour protester contre le taux de chômage et les difficultés que rencontrent les jeunes au quotidien mais également pour protester contre le manque de liberté qui touche la jeune génération tunisienne.
Ces émeutes ont été déclenchées par une vague de suicides qui dénote bien le désespoir de la jeunesse tunisienne qui est la cible principale de la loi contre le terrorisme.
Le 17 décembre dernier, Mohamed Bouazizi, 26 ans, un vendeur ambulant s’est immolé par le feu après que sa marchandise ait été saisie par la police. Cet évènement a déclenché une série de réactions chez les tunisiens qui ont manifesté leur mécontentement sur la situation sociale en Tunisie.
La réaction du gouvernement de Ben Ali ? Un officiel a déclaré que les manifestants étaient « des bandes de pilleurs infiltrés » qui en aucun cas ne manifestaient pour l’amélioration de leurs conditions de vie.
Pourtant, le 14 Décembre 2010, après plus de 23 ans au pouvoir, le Président Ben Ali a quitté le pays.

 

Un évènement historique, des changements nécessaires mais une situation fragile

 

Les changements en Tunisie sont historiques.  Ils étaient aussi nécessaires.
On peut espérer une transition pacifique vers un régime plus représentatif et respectueux de la règle de droit et des droits fondamentaux.  Le Président Ben Ali a favorisé l’accès à l’éducation de l’ensemble de la population.  Il ne pouvait, après avoir permis l’éducation généralisée de la population, espérer comme c’est encore possible dans d’autres pays où les gouvernements autoritaires luttent contre l’éducation – notamment des femmes (l’éducation des femmes se limitant à apprendre des textes dans une langue qu’elles ne connaissent pas, à faire du pain et à coudre) -, limiter l’expression des idées ad vitam eternam.  Il est l’artisan de sa propre déstitution.
La population Tunisienne est en droit de prendre une part active dans les débats d’idées et de participer aux décisions concernant les politiques du pays.  Les lois répressives évoquées plus haut doivent être modifiées pour permettre la plus grande liberté d’expression notamment au sein des médias.
Il est important que le régime nouveau soit représentatif et que le gouvernement intérimaire permette à la population, par voie de consultation, de participer aux élections à venir tant (i) comme électeurs, que comme (ii) personnes éligibles et (iii) contrôleurs de la légitimité du processus électoral.
Le gouvernement intérimaire a annoncé la tenue d’élection pour dans deux mois avec exclusion de certains partis.  Pourtant, il serait plus judicieux de tenir des élections pour d’ici la mi 2011 et d’ouvrir à la participation de tout parti politique légitime et représentatif.  On pense ici notamment à la possibilité pour le parti communiste Tunisien de pouvoir participer au processus.
Le gouvernement intérimaire pourrait aussi proposer à des personnalités comme Radhia Nasraoui de participer au gouvernement intérimaire pour garantir la continuité dans le changement.  Radhia Nasraoui pourrait notamment être nommée ministre de la justice.
On peut aussi espérer une transition vers un régime moins corrompu ou l’abus de pouvoir deviendrait l’exception et qui serait plus tourné vers les libertés économiques.  Le nouveau gouvernement devra faciliter le commerce en affirmant et garantissant les libertés économiques.  La multiplication des licences, autorisations, certificats et autres documents nécessaires pour commercer en Tunisie et l’utilisation de ces multiples barrières par les fonctionnaires pour obtenir faveurs et compensations a eu sur le long terme un effet paralysant sur l’économie.  L’abus de pouvoir économique et la corruption fragilisent les économies parce qu’ils (i) créent des barrières artificielles à l’entrée sur le marché, (ii) accroissent les coûts transactionnels, (iii) augmentent l’incertitude, (iv) démotivent ceux qui ont l’esprit d’entreprise, (v) récompensent l’oisiveté et (vi) favorisent les marché parallèles.  Dans un contexte de crise mondiale des matières premières, une économie fragilisée court un risque important de paralysie.
La liberté d’entreprendre et de commerce doit être réaffirmée en Tunisie et les lois doivent être modifiées pour (i) limiter les opportunités d’abus ; notamment en réduisant l’exigence de licences, autorisations etc… ou en facilitant et en rationalisant leurs conditions d’octroi et (ii) favoriser la lutte contre l’abus de pouvoir et la corruption en protégeant effectivement, tout en les récompensant, ceux qui dénoncent ces pratiques et en sanctionnant lourdement les responsables.
Il est vrai que tant que le risque d’une menace de prise de pouvoir par les islamistes extrémistes existera dans la région, il sera difficile d’envisager des régimes moins autocratiques.  Pourtant, l’armée très puissante en Tunisie doit le rester, et elle peut être le garde-fou contre les extrémismes tout en garantissant la démocratie.  Elle doit comprendre que c’est là sa fonction et son rôle.

 

Des conséquences négatives dans d’autres pays

 

L’exemple de la Tunisie aura des conséquences importantes sur les pays dont les régimes sont aussi autoritaires.  Il y a un risque en effet que les chefs d’Etats de pays autoritaires prennent des mesures encore plus répressives.  Ils verront dans les derniers mois de la Présidence Ben Ali des signes de faiblesse de la part du régime, faiblesse dont certains groupes, puis la population, ont su profiter pour renverser le régime.  On doit donc s’attendre dans les prochaines semaines à des rafles d’opposants politiques dans un certain nombre de pays.

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