Benazir Bhutto, son engagement en faveur de la démocratie au Pakistan

Ecrit par Jean Albert, Ludivine Tomasso/Editeur: Jacqueline Duband, Emilie Dessens 

Jeudi, 23 Décembre 2010 04:18

Elle fut la première femme à gouverner un pays musulman. Fin décembre 2007, quelques semaines avant de nouvelles élections au Pakistan, elle est victime d’un attentat qui met un terme à son combat pour la démocratie et l’amélioration de la condition de la femme.  Elle avait été prévenue du risque.  A son arrivée à Islamabad elle avait déjà subi une attaque, manquée.  Mais elle a décidé de rester, de se battre pour son pays.  Comme son père exécuté 30 ans auparavant, l’amour de son pays et ses principes lui ont coûté la vie.
Son mari est aujourd’hui à la tête de l’état et tente dans des conditions difficiles de poursuivre son combat.

 

Sa jeunesse et ses études

Benazir Bhutto vient d’une famille très impliquée politiquement. Son père, Zulfikar Ali Bhutto, a été Président puis premier ministre du Pakistan dans les années 1970.  Son grand-père, Shah Nawaz Bhutto, était un politicien reconnu dans les Indes britanniques.
Elle part faire ces études supérieures d’abord à Harvard, aux Etats-Unis où elle étudie pendant quatre années, et ensuite en Angleterre où elle étudie la philosophie, l’économie et la politique à Oxford. Elle en profite également pour étudier le droit international et la diplomatie.
En 1976, elle devient la présidente de l’Oxford Union ; un groupe de débat célèbre pour avoir formé de nombreux politiciens anglais.
A la fin de ses études, elle décide de rentrer au Pakistan.

 

Une carrière politique brillante

A son retour au Pakistan, son père est arrêté et placé en détention à la suite d’un coup d’Etat militaire qui voit Muhammad Zia-Ul-Haq prendre la tête de l’Etat pakistanais en 1977. Il instaure la loi martiale dans le pays (suppression des libertés fondamentales).
Elle remplace alors son père à la tête du Pakistan Peoples Party (« PPP »). Ce dernier est exécuté en 1979 et elle devient officiellement le leader du PPP. Pour cette raison, elle passe près de six ans en prison, et n’est autorisée à quitter le Pakistan qu’en 1984 pour raisons médicales (liées à son emprisonnement).
Pendant les deux ans que dure son exil (l’éloignement de son pays est une des conséquence de la persécution systématique dont elle fait l’objet), elle s’impose comme la figure de proue du mouvement  pro-démocratique au Pakistan.
Lorsqu’elle parvient à rentrer en 1986, une foule d’un million de personnes vient l’accueillir à l’aéroport.
Après la mort de Muhammad Zia-Ul-Haq, en 1988, dans un accident d’avion,  des élections démocratiques sont organisées et le PPP remporte la majorité des sièges parlementaires.
Elle devient à l’âge de 35 ans, la première femme premier ministre du Pakistan. Elle est aussi la plus jeune femme à avoir jamais dirigé un pays musulman.
Elle met rapidement en place un système de quota pour augmenter la participation des femmes à la vie politique pakistanaise. Et encore aujourd’hui, 5% des sièges dans les deux chambres parlementaires pakistanaises sont réservés aux femmes.
Elle est également à l’origine d’une banque spécialement réservée aux femmes « First Women Bank » qui a pour objectif d’aider les femmes à devenir plus indépendantes en leur accordant des prêts pour qu’elles puissent créer leurs propres entreprises.  Cette banque créée en 1989, au lendemain de sa prise de fonction en tant que premier ministre du pays, propose principalement du micro-crédit pour des projets de développement ruraux.  Au 30 septembre 2010, la banque avait un encours de 28 milliards de roupies (247 millions d’euros).
Cependant en 1990, elle est obligée de démissionner de son poste suite à des accusations de corruption qui pèsent sur elle et qui sont en fait des campagnes de déstabilisation visant à ruiner sa réputation.
En 1993, à la suite de la démission du gouvernement qui remplaçait le sien, des élections sont organisées. Son parti le PPP, après avoir formé une coalition avec d’autres partis, arrive une nouvelle fois au pouvoir et elle devient à nouveau premier ministre de son pays.
En 1996, le président de l’époque, Farooq Leghari, la démet de ses fonctions suite à de nouvelles accusations de corruption.
Elle décide alors de quitter le pays espérant que son parti pourra conserver le pouvoir.  Elle vit pendant un moment à Dubaï où elle s’occupe de ses trois enfants et de sa mère atteinte de la maladie d’Alzeihmer.
Après de nombreuses années d’exil, la perspective des élections de 2008 au Pakistan la pousse à rentrer au pays, même si elle est bien consciente des risques qui pèsent sur elle ayant reçu maintes menaces de mort.
En effet, cela ne tarde pas à se confirmer, elle échappe de peu à la mort lors d’un attentat suicide en octobre 2007, quelques heures à peine après son arrivée sur le sol pakistanais. Une centaine de personnes qui suivent son cortège y trouveront la mort.
Malgré cela, elle décide de continuer son combat pour la Démocratie et repart faire campagne pour les nouvelles élections.
Le président Musharraf décide en novembre de la même année de déclarer l’état d’urgence en raison de la présence d’extrémistes islamistes, notamment à la frontière avec l’Afghanistan. Elle est mise en résidence surveillée pour sa protection mais  est rapidement autorisée à quitter à nouveau sa maison.
Elle essaye de négocier, avec le président Pervez Musharraf et d’autres candidats de l’opposition,  pour faire lever l’état d’urgence dans le pays et organiser des élections démocratiques.
Le 27 décembre 2007, Benazir Bhutto est assassinée. Elle revient d’un meeting de son parti lorsque son convoi est attaqué. Cette fois, elle n’en réchappe pas.

Un courage exemplaire

Elle a fait preuve d’un courage sans faille. Malgré les risques qui pesaient sur sa vie, elle n’a pas hésité à rentrer et à continuer à se battre pour la démocratie.
Elle a été constamment harcelée, attaquée, accusée et pourtant n’a jamais abandonné ni son pays, ni ses idées.
Avec sa participation au gouvernement, elle a ouvert la voie aux autres femmes de son pays et leur a permis une plus grande participation politique ; un ministère pour la condition de la femme est créé.  Les femmes sont plus nombreuses au Parlement.

Trop peu de temps

Elle n’arrivera pas à obtenir que l’ordonnance « Hudood », mise en place par Muhammad Zia-Ul-Haq en 1978, soit abrogée. Son parti se bat depuis toujours pour l’abrogation de cette ordonnance discriminatoire à l’encontre des femmes. En effet, adoptées dans un contexte d’islamisation, ses règles définissent les punitions dont la lapidation notamment à appliquer en cas de Zina (adultère ou relations sexuelles avant le mariage). Ces mêmes lois imposent aux victimes de viols de présenter quatre témoins oculaires masculins et «bons musulmans» pour obtenir une condamnation. Si elles n’y parviennent pas, ce sont les victimes qui sont condamnées et qui risquent la prison ou la lapidation pour adultère si elles sont mariées.  Les parlementaires islamistes en refusent l’abrogation catégoriquement alors que certains spécialistes de l’islam les dénoncent pour leur mauvaise transcription du Coran.
Ces lois ont été amendées en 2002 sous le gouvernement Musharraf sans vraiment de changement significatif pour les femmes au Pakistan. Cependant, en 2006 sous le même gouvernement Musharraf, le PPP revient avec un projet d’amendement qui cette fois-ci est adopté, le 15 Novembre 2006 sous le nom de « Women’s Protection Bill »,  malgré l’opposition des parlementaires islamistes.  Les changements sont plus significatifs.  La peine maximale pour adultère passe de la mort par lapidation à cinq ans de prison et par une amende et en cas de viol, les victimes de sexe féminin n’ont plus l’obligation de trouver quatre témoins hommes et « bons musulmans », pour prouver un viol.
La situation des femmes au Pakistan reste aujourd’hui encore très difficile ; les crimes d’honneur et le mariage forcé y demeurent des pratiques acceptées.

 

5.  Une lutte que son mari tente aujourd’hui de poursuivre

Asif Ali Zardari, veuf de Benazir Bhutto, élu Président du Pakistan lors des dernières élections, a transformé le régime présidentiel en régime parlementaire par la réforme constitutionnelle de 2010.
Cette réforme prévoit la redistribution du pouvoir au sein du système politique pakistanais et introduit une séparation des pouvoirs plus équilibrée qui correspond plus à un idéal de démocratie parlementaire. L’introduction de ce 18ème amendement vise à annuler les changements introduits par le précédent président Pervez Musharraf qui lui permettaient de démettre de leurs fonctions les gouvernements démocratiquement élus.
En octobre 2009, il rencontre le pape Benoît XVI pour aborder la question de la discrimination des minorités chrétiennes au Pakistan. Lors de son entretien avec Benoît XVI, la loi anti blasphème pakistanaise a également été évoquée.  Elle demeure la plus dure du monde. Elle viole tous les traités internationaux sur les droits de l’Homme parce qu’elle n’interdit et ne sanctionne (de mort) que le blasphème dirigé contre l’Islam !  En effet, les personnes accusées de blasphème risquent la peine de mort et cette loi est utilisée comme outil de discrimination contre les minorités religieuses du pays.
Ces derniers mois ont bien illustré les problèmes soulevés par la loi contre le blasphème avec la condamnation d’une mère chrétienne, Aasia Bibi, à la peine de mort pour blasphème. Cette Chrétienne, mère de cinq enfants, paysanne et analphabète s’est disputée avec sa voisine aussi collègue de travail avant de se voir ensuite accusée de blasphème par cette dernière.  Le Président Zardari a ouvert une enquête à ce sujet et propose de la gracier si son appel est rejeté.  Cela fait un an qu’Aasia Bibi est en prison.
Déjà début 2010, le gouvernement et, en particulier, Shahbaz Bhatti, le ministre pour les questions des minorités, qui est lui-même chrétien, avait lancé l’idée d’une réforme de ces lois contre le blasphème.
Le ministère du développement de la femme, créé par Benazir Bhutto, a connu un changement important ces dernières années avec l’accession de femmes à sa tête alors que ce n’était pas le cas auparavant. Le ministère était composé à 70% d’hommes avant 2008 pour 30% désormais.
Enfin, en janvier 2010, une loi nouvelle vient accroître les peines encourues pour harcèlement des femmes sur leur lieu de travail. Les peines peuvent désormais aller jusque trois ans de prison alors qu’elles n’étaient que symboliques précédemment.
Fin 2007, neuf centres de refuge pour femmes ont été créés.  Ces centres sont connus sous le nom de Centre Shaheed Benazir Bhutto.  Les Centres Shaheed Benazir Bhutto offrent hébergement et services sociaux et psychologiques gratuits aux femmes victimes de violences.  En 2007, plus de 8000 femmes ont bénéficié de l’aide proposée par ces centres.
Depuis 2008, à l’initiative du Président, le Benazir Income Support Programme a été créé pour lutter contre la pauvreté. Les familles les plus pauvres reçoivent un complément de salaire. Pendant la période 2008-2009, 425 millions de dollars ont été distribués dans le cadre de ce programme.

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