L’Accord de Bruxelles et la reconnaissance d’Etat

Par Jean-Baptiste Merlin, diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, titulaire d’un master en Relations européennes et internationales, doctorant en droit international public. Article finalisé le 2 juillet 2013. Les traductions sont de l’auteur1.

Le 19 avril 2013, le Premier ministre de la Serbie Ivica Dačić et le Premier ministre du Kosovo Hashim Thaçi ont paraphé à Bruxelles le « Premier accord sur les principes régissant la normalisation des relations » (ci-après « Accord de Bruxelles » ou « Accord ») sous l’égide de la Haute représentante de l’Union européenne pour la politique extérieure et de sécurité, Catherine Ashton. Celle-ci assume les bons offices de l’Union européenne comme facilitatrice ou médiatrice du dialogue entre Belgrade et Priština. D’abord technique, ce processus de négociation est ensuite entré dans une phase politique, confirmée par la conclusion de l’Accord de Bruxelles.

Au lendemain de cet événement qualifié d’historique par certains commentateurs, la confusion règne. Que s’est-il réellement passé ? La Serbie a-t-elle reconnu l’indépendance du Kosovo ? La couverture médiatique et les déclarations des autorités serbes n’offrent qu’une joyeuse cacophonie. La polarisation continue de la société internationale sur le sujet ne contribue pas à réduire l’ambiguïté et l’indétermination ambiantes. Le présent article se propose d’examiner dans les grandes lignes les développements intervenus autour de l’Accord de Bruxelles sous l’angle du droit international afin d’apporter quelques éclairages juridiques sur la signification de cet accord en termes de reconnaissance d’Etat2. Il s’agit notamment d’examiner si le comportement de la Serbie implique une reconnaissance du Kosovo comme Etat souverain et indépendant. Dans cette perspective, notre démarche suit trois étapes :

1. Les formes de la reconnaissance d’Etat en droit international
2. Le processus de négociation : vers l’établissement de relations diplomatiques qui ne disent pas leur nom ?
3. Le contenu de l’accord (dispositions, esprit, implications et mise en œuvre)

I – Cadre juridique : les formes de la reconnaissance d’Etat en droit international

La reconnaissance en droit international peut se définir comme l’acceptation par un sujet de droit international qu’une situation donnée produise des effets juridiques à son égard. La reconnaissance d’Etat est donc l’acceptation par un sujet de droit international des conséquences juridiques à son égard découlant de l’existence d’un Etat.
Dans son état actuel, le droit international reflète la doctrine déclarative de la reconnaissance d’Etat dont il fait cependant une application nuancée3.
Selon la doctrine déclarative, peut prétendre à la qualité d’Etat comme sujet de droit international toute entité dès lors qu’elle réunit trois conditions factuelles : un territoire défini, une population permanente et un gouvernement. La simple constatation de l’existence de ces trois éléments appelle à conclure à l’existence de l’Etat, qui ne dépend pas de son éventuelle reconnaissance par d’autres Etats. Ces reconnaissances, intervenant a posteriori, ne peuvent avoir de valeur que confirmatoire ou déclarative.
Cependant, la reconnaissance internationale continue de conditionner le plein exercice de certaines prérogatives étatiques, notamment la faculté de conclure des traités internationaux et de devenir membre d’organisations internationales4. Dans son opinion de 1998 sur la question théorique de la sécession du Québec, la Cour suprême du Canada, tout en rejetant la doctrine constitutive de la reconnaissance, a considéré que la tenabilité d’une entité ayant accédé de facto à l’indépendance souveraine – l’accession à l’indépendance est une question de fait – ainsi que sa pleine inclusion dans la société internationale dépendent de la reconnaissance que cette entité reçoit de la part des autres membres de la société internationale5. En cela, la doctrine déclarative dominante subit une influence limitée de la doctrine constitutive de la reconnaissance d’Etat.
La nature et la portée de l’acte de reconnaissance d’Etat ainsi définies, il est encore nécessaire de porter son attention sur la question des formes possibles de la reconnaissance. Le droit international ne prescrit aucune forme précise de la reconnaissance. En pratique, celle-ci prend de nombreuses formes, dont une nous intéresse particulièrement ici. Il s’agit de la reconnaissance implicite. Déduite de l’accomplissement d’actes étatiques normalement réservés aux relations entre Etats, cette forme de reconnaissance pose généralement un problème de preuve que l’on retrouve en l’espèce : lorsque les comportements considérés manquent de la clarté nécessaire afin d’équivaloir de manière certaine à une reconnaissance, les déclarations des Etats qualifiant leurs actes prennent une importance accrue6. Or en l’espèce, comme constaté dans cet article, la Serbie a systématiquement accompagné tous ses actes pertinents en matière de reconnaissance implicite de déclarations contraires. Il faut donc considérer en outre le mouvement général et à long terme desdits comportements ainsi que l’évolution et l’interprétation de la portée des déclarations s’y rattachant.
En l’espèce, le Kosovo, qui a déclaré unilatéralement son indépendance de la République de Serbie le 17 février 20087, semble remplir les trois conditions factuelles nécessaires à la constatation de son existence comme Etat souverain et indépendant sous le nom officiel actuel de République du Kosovo. Premièrement, il dispose d’une assise territoriale déterminée par des frontières. Le tracé de ces frontières est assez clair puisqu’il suit la ligne administrative de démarcation qui existait entre la province autonome de Kosovo-et-Métochie et la Serbie centrale au sein de la Yougoslavie puis de la Serbie indépendante. L’absence de contrôle des autorités du Kosovo sur le nord du territoire (municipalités de Kosovska-Mitrovica Nord, Leposavić, Zubin Potok et Zvečan) et sur quelques autres municipalités à majorité serbe situées au sud de la rivière Ibar ne suffit pas à invalider la réalisation de cette première condition factuelle. Tout au plus, l’hypothèse de la sécession éventuelle de ces territoires à majorité serbe ne conduirait qu’à amputer le Kosovo d’une partie de son territoire initial sans remettre en cause sa qualité d’Etat. Deuxièmement, le Kosovo dispose d’une population permanente d’environ 2 millions d’habitants. Le deuxième critère interprète le terme ‘population’ dans son acception originelle, c’est-à-dire comme simple effectif humain habitant le territoire de manière permanente, indépendamment de sa composition ethnique, linguistique et religieuse ou encore du sentiment d’appartenance de ses membres. Ainsi, les velléités centrifuges de la communauté serbe du Kosovo nourries par sa défiance vis-à-vis des autorités centrales de Priština n’est pas de nature à remettre en question l’existence d’une population permanente au Kosovo. La communauté serbe dispose du reste de la même faculté de faire sécession que celle utilisée par la communauté albanaise en 2008. Troisièmement, il ne fait pas de doute que le Kosovo dispose d’un gouvernement. Les défauts attribuables à celui-ci ne sauraient suffire à en invalider l’existence et l’effectivité.
Il est intéressant d’examiner la situation du Kosovo à la lumière du quatrième critère prévu par la Convention de Montevideo de 19338. La capacité du Kosovo d’entrer en relations avec d’autres Etats est évidente, à en juger les multiples reconnaissances dont il a bénéficié depuis 2008. En l’absence d’un seuil spécifique en dessous duquel le nombre de reconnaissances serait jugé insuffisant afin de garantir l’accession d’une entité à la qualité d’Etat, des Etats tels qu’Israël, la Palestine et la République arabe sahraouie démocratique9 suggèrent que, loin d’exiger l’unanimité de la société internationale, l’existence d’une entité comme Etat souverain peut s’accommoder d’une reconnaissance partielle. On peut alors présumer que plus le nombre de reconnaissances est élevé et plus la réalité de l’existence de l’Etat en cause s’affermit, sans qu’il soit possible d’en tirer d’autres conclusions. A ce jour, 103 Etats membres des Nations Unies sur un total de 193 (53,4%) ont reconnu la République du Kosovo comme Etat souverain et indépendant10. Cela confère au Kosovo la capacité d’établir et d’entretenir des relations diplomatiques avec plus de la moitié des Etats du monde, soit la majorité absolue. Il faut donc conclure que la quatrième condition est vérifiée dans le cas du Kosovo.

II – Le processus de négociation : vers l’établissement de relations diplomatiques qui ne disent pas leur nom ?

Au lendemain du verdict de la CIJ, la résolution 64/298 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 9 septembre 2010, proposée par la Serbie avec le soutien de l’Union européenne, prévoit l’établissement d’un dialogue entre les autorités de Belgrade et celles de Priština sous la facilitation de l’Union européenne. Au gré des développements et des résultats atteints, le dialogue ainsi initié a pris deux phases successives reflétant le contenu des discussions et l’enjeu symbolique. La première phase, technique, a consisté en huit rencontres tenues entre le 8 mars 2011 et le 24 février 2012. La seconde phase, politique, est toujours en cours. A ce jour, elle a consisté en dix rencontres tenues à Bruxelles entre le 19 octobre 2012 et le 19 avril 2013.
Dès ses débuts, le processus peut être caractérisé par un terme : ambiguïté. Les mots eux-mêmes, soigneusement choisis par les parties, semblent avoir une portée cruciale. En dépit de sa qualification officielle de technique par les deux parties, la première phase se montre hautement ambiguë. Un examen approfondi des développements en révèle l’essence en réalité politique. En dépit des précautions prises par la Serbie afin de sauver la face11, il faut souligner d’emblée la signification symbolique du choix du dialogue. Le dialogue implique une certaine forme de reconnaissance de l’interlocuteur ; on ne dialogue pas dans le vide. En outre, ce dialogue se situe à haut niveau dès le début, malgré les précautions prises à cet égard. Même s’il ne s’agit pas encore des Premiers ministres, les négociateurs envoyés exercent des pouvoirs délégués par leurs gouvernements respectifs. Tout, donc, ressemble à des négociations diplomatiques qui ne diraient pas leur nom.
Sur le plan formel, il faut constater que malgré les déclarations des deux parties de confiner le dialogue à une dimension technique, les délégations qu’elles ont désignées sont menées par des personnes d’un rang politique élevé. Côté serbe, le chef de délégation, M. Borislav Stefanović, est à l’époque un fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères. Chef de cabinet du Ministre des affaires étrangères et directeur politique du Ministère depuis 2007, il a été auparavant l’adjoint de l’ambassadeur de Serbie aux Etats-Unis impliqué auprès du Congrès, puis secrétaire général du Ministère des affaires étrangères12. Côté kosovar, l’équipe de négociation est dirigée par Mme Edita Tahiri, Vice-Premier ministre du Kosovo depuis février 2011 et ancienne Ministre de l’administration publique. Symboliquement, ce choix ne peut manquer de conférer au dialogue une dimension politique le rapprochant en fait de négociations interétatiques. Dans tous les cas, leurs actes sont de nature à engager leurs Etats respectifs. Notons au passage que le niveau de délégation semble plus élevé côté kosovar que côté serbe, alors que l’on s’attendrait plutôt au contraire dans le cas d’un dialogue asymétrique entre un Etat et des autorités transitoires non-étatiques13. La pratique de négociations informelles est commune au sein de la société internationale. Ainsi, en dépit des précautions sémantiques prises par la Serbie, le fait que le degré de formalisme des négociations ne soit pas maximal ne présente pas un obstacle à l’interprétation du processus comme diplomatique, c’est-à-dire international. Bien qu’elle offre la neutralité nécessaire à la conduite du dialogue, la médiation de l’Union européenne en la personne de Robert Cooper renforce le haut niveau d’un processus et la présomption de son caractère international dans la mesure où un tel rôle de l’Union européenne est difficilement imaginable pour un dialogue intra-national, c’est-à-dire dont les parties appartiennent au même Etat. De même, l’issue des négociations, c’est-à-dire la conclusion d’accords, confirme l’ambiguïté générale d’un processus dont la nature indéfinie. Sur cette question, rejetant l’affirmation selon laquelle la conclusion de tels accords pourrait constituer une certaine forme de reconnaissance, implicite ou explicite, de la souveraineté kosovare, Stefanović déclare « Les formes possibles de la reconnaissance de l’indépendance d’un Etat ou d’une entité sont claires. Aucune de ces formes n’est ni ne sera utilisée dans le cas en l’espèce. Les seuls à pouvoir contraindre la Serbie à reconnaître un Kosovo indépendant sont nous et seulement nous. »14 Si en principe la conclusion de tels accords techniques n’implique pas nécessairement la souveraineté de toutes les parties, leur dimension politique grandissante contribuera à renforcer la présomption contraire.
L’examen du contenu des accords conclus lors de la phase technique du dialogue jette un éclairage sur la nature du processus et de son enjeu15. Les  négociations ont porté sur trois thèmes : coopération régionale, liberté de mouvement et primauté du droit (rule of law). Le thème de la coopération régionale semble revêtir une dimension également politique. En effet, s’il existe des exemples de coopération entre entités ne se reconnaissant pas mutuellement comme Etats souverains16, il semble que la coopération soit annonciatrice de la reconnaissance mutuelle, nécessaire afin de développer pleinement la coopération. On peut en outre soutenir que la coopération elle-même constitue une certaine forme ou un certain degré de reconnaissance mutuelle. Parmi les accords techniques conclus en lien avec ces trois thèmes généraux, certains revêtent une dimension politique susceptible d’avoir une incidence sensible sur la question de la reconnaissance. Premièrement, Belgrade a accepté de remettre aux autorités de Priština des copies des registres du cadastre et des documents d’état civil liés aux naissances, mariages et décès concernant le territoire du Kosovo. Ce transfert de données relatives à un domaine propre à l’exercice de la souveraineté de l’Etat semble impliquer une reconnaissance tacite que les autorités serbes n’ont plus le contrôle effectif sur le territoire du Kosovo. Belgrade remet ainsi aux autorités de Priština les ressources propres à l’exercice de cette dimension de la souveraineté étatique : l’administration de la population et des données essentielles y relatives. Il en va de même de la reconnaissance mutuelle des diplômes universitaires. Si ces accords se justifient généralement par la nécessité d’assurer une gestion technique dans le seul but de faciliter la vie de la population sur le terrain, cette coopération constitue déjà un premier pas vers une certaine forme de reconnaissance mutuelle qu’elle exige afin de fonctionner. Cette ambiguïté se reflète également dans les accords conclus concernant la liberté du commerce entre la Serbie et le Kosovo (fin de l’embargo imposé par la Serbie) ainsi que dans la reconnaissance du tampon « Douanes du Kosovo » par la Serbie. Autre premier pas vers la reconnaissance du Kosovo comme Etat souverain par la Serbie, l’accord conclu en matière de représentation du Kosovo dans les organisations conférences régionales17. Cela permet aux autorités de Priština de conclure des traités internationaux, jusqu’alors signés par la MINUK. La faculté ainsi donnée au Kosovo de participer à des conférences multilatérales et d’être représenté auprès des organisations internationales, ce à quoi la Serbie s’opposait jusqu’alors, est en principe réservé aux Etats souverains. S’il ne s’agit certes à ce stade que de la représentation du Kosovo auprès des organisations internationales et non de son accession, l’Accord de Bruxelles marquera un pas de plus dans cette direction.
Les accords conclus sur la gestion intégrée des frontières/lignes administratives, y compris les opérations de gestion frontalières communes prévues au Kosovo du nord, rapproche la ligne de démarcation d’une véritable frontière internationale dans la mesure où cet accord manifeste l’alignement de la Serbie sur la réalité du terrain : l’existence d’une discontinuité territoriale. Du reste, la réaction des Serbes du Nord du Kosovo semble confirmer cette interprétation, en témoignent leurs tentatives de démanteler ou de bloquer par des barricades les points de passage à Jarinje et Brnjak à la fin de juillet 2011. Enfin, intervenu le 17 juin 2013 en application de l’Accord de Bruxelles, l’échange d’officiers de liaison entre Belgrade et Priština stationnés dans les missions de l’Union européenne, sans équivaloir à un échange d’ambassadeurs, ressemble fort à un premier pas dans cette direction.
Les déclarations et prises de position des officiels serbes demeurent claires dans l’ensemble durant cette première phase technique du dialogue, refusant explicitement d’équivaloir le processus de dialogue et les accords conclus avec une quelconque forme de reconnaissance par la Serbie de l’indépendance du Kosovo. Le 9 décembre 2011, alors que la première phase du dialogue s’approche de sa fin, le président serbe Boris Tadić déclare : « Certains pays ont reconnus l’indépendance du Kosovo, mais jamais la Serbie ne fera cela, ni explicitement ni implicitement. » De même, Stefanović affirme sur RTS le 23 avril 2011 : « personne ne doit penser que nous nous aventurons en dehors de notre Constitution et des résolutions de l’Assemblée nationale, pour nous la République de Serbie est unique et indivisible. » Ce faisant, certaines déclarations sont plus ambiguës et semblent laisser la porte ouverte à un scénario futur indéterminé. Le président serbe lui-même admet que l’abandon par la Serbie de la désignation du Kosovo sous le signe de la Résolution 1244 comme condition à sa participation aux conférences régionales a été posé comme une précondition au progrès futur de l’intégration européenne de la Serbie18. B. Stefanović déclare : « l’équipe serbe de négociation n’exclut pas la possibilité de discuter de la partition du Kosovo. Ils n’obtiendront jamais notre confirmation à leur soi-disant indépendance. »19 Ces propos sont plus ambigus qu’ils n’y paraissent au premier abord. En effet, non-seulement une négociation sur la partition du Kosovo impliquerait précisément la sortie du cadre constitutionnel que M. Stefanović prétend défendre au cours du même entretien (voir citation précédente, même date), mais une éventuelle partition du Kosovo comme résultat de ces négociations conduirait selon toute probabilité à une reconnaissance au moins implicite de la souveraineté kosovare. Dans un autre entretien en lien avec l’épisode des barricades au nord du Kosovo de juillet 2011, Stefanović semble encore laisser en négatif la porte ouverte à une souveraineté kosovare au sud de l’Ibar : « L’Etat de la Serbie demeurera dans tous les cas fonctionnel au nord du Kosovo, nous désirons arriver à un accord dans ce sens »20. Sans cette porte ouverte constamment laissée par la Serbie et masquée seulement par des déclarations ambiguës ou sans effet (ou plutôt ayant pour rôle de préserver le secret relatif des négociations), il serait difficile d’expliquer la prise de distance à la fois du président Tadić et de B. Stefanović vis-à-vis du referendum local conduit par les Serbes du Kosovo le 15 février 2012.
La deuxième phase, politique, du dialogue voit la confirmation et l’intensification de cette tendance. Le dialogue politique à haut niveau est établi en parallèle du dialogue technique appelé à continuer. Le passage de la nature du dialogue de technique à politique en dit long sur la progression et la direction du processus. Alors que les discussions techniques se justifiaient par la nécessité de faciliter la vie quotidienne de la population en proie à des difficultés en termes de liberté de mouvement ou encore de services publics21, le dialogue politique déplace l’enjeu sur le terrain plus sensible du statut final du Kosovo. Ce glissement, rendu inévitable par la pression placée sur la Serbie par la politique de conditionnalité de l’Union européenne, rapproche le processus de la question de la reconnaissance. Premièrement, le niveau de dialogue est augmenté, à en constater par les protagonistes désignés. Si le Ministère des affaires étrangères ne semble plus impliqué dans la phase politique du dialogue, l’ambiguïté est en fait accentuée lorsque l’on considère la composition des équipes de négociation des deux côtés et le rôle renforcé du Président serbe Tomislav Nikolić. Les chefs de délégation sont les Premiers ministres respectifs de la Serbie et du Kosovo, Ivica Dačić et Hashim Thaçi. Côté serbe, les consultations et prises de position de l’équipe de négociation témoignent de l’implication active du Président et du Premier ministre, mais aussi du premier vice-premier ministre Aleksandar Vučić, du directeur du bureau pour les affaires d’expertise et opératives dans le processus de négociation entre Belgrade et Priština Dejan Pavićević, du directeur du bureau pour le Kosovo-Métochie Aleksandar Vulin, du conseiller politique du Président Marko Đurić et du vice-premier ministre Suzana Grubješić. Cette composition à haut niveau de l’équipe de négociation renforce l’ambiguïté du processus dans la mesure où les actes accomplis dans le cadre du dialogue sont susceptibles d’engager directement l’Etat en raison du haut rang des protagonistes. La médiation de l’Union européenne est assurée par Catherine Ashton, Haute représentante de l’Union pour la politique extérieure. La première réunion des deux Premiers ministres, qui a lieu le 19 octobre 2012 en présence de Catherine Ashton, est de fait la première rencontre à ce niveau depuis la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008.
La phase politique du dialogue révèle une accélération de la progression vers une reconnaissance de la souveraineté kosovare par rapport à la phase technique précédente. En effet, la réduction de la marge de manœuvre, résultant de l’existence des accords passés et de la pression exercée par les Etats-Unis et l’Union européenne, s’accompagne d’une sensibilité et d’une portée accrue conférée à tout acte par la nature à présent ouvertement politique du dialogue. Une nouvelle expression fait son apparition, celle de « normalisation des relations ». A l’issue de la première réunion du 19 octobre 2012 entre Ivica Dačić, Hashim Thaçi et Catherine Ashton, celle-ci déclare : « Nous nous sommes accordés sur la poursuite du dialogue des deux parties sur la normalisation »22. Repris à plusieurs occasions au cours du dialogue dans les mois suivants, le terme de normalisation, parfois en lien avec celui de relations de bon voisinage23, est un principe qui entretient des liens étroits avec la notion de reconnaissance en droit international. En effet, il est généralement admis que « seule la reconnaissance normalise, à tous les échelons et en toutes matières, les relations entre l’Etat nouveau et l’Etat qui le reconnaît. »24 Comme forme ultime de la normalisation, la reconnaissance semble bien être l’issue logique vers laquelle tend le dialogue.
Au cours du dialogue politique, le Président Nikolić a proposé en décembre 2012 une Plateforme politique définissant les principes devant régir les phases à venir du dialogue. Reprise et modifiée par le gouvernement25, cette plateforme a été adoptée par la Résolution 1/2013 de l’Assemblée nationale du 13 janvier 201326. Un examen du texte est éclairant. Au sein du premier élément sur lequel se fonde la Résolution, la Plateforme affirme que « la République de Serbie […] ne reconnaît pas ni ne reconnaîtra jamais l’ « indépendance » unilatéralement proclamée du Kosovo ». Reprise occasionnellement dans les déclarations des divers acteurs serbes des négociations, cette formulation incluant les termes « unilatéralement proclamée » peut implicitement suggérer que la Serbie serait prête à reconnaître une indépendance négociée27, d’où le sens du processus de dialogue en cours. Ce point est important car la Plateforme fournit le cadre et le mandat relatifs au dialogue, et les officiels serbes ont depuis répété plusieurs fois que toute solution négociée devait être en accord avec elle. Le quatrième point, tranchant avec les déclarations nationalistes à l’emporte-pièce courantes dans la presse, confirme que le processus est déjà engagé : « la République de Serbie a […] conféré par ses procédures aux institutions provisoires d’auto- administration à Priština une personnalité et une légitimité juridiques limitées et internationales ». La plateforme envisage la création d’une Communauté des municipalités serbes de la province autonome de Kosovo-Métochie à laquelle elle requiert l’attribution d’un certain nombre de domaines de compétences. S’il semble clair que l’objectif de ce système est de mettre en place une autonomie substantielle de la communauté serbe du Kosovo vis à vis des autorités de Priština, la question de savoir si le système est envisagé au sein d’un Kosovo indépendant ou d’un Kosovo autonome dans la Serbie reste sans réponse claire. Les solutions proposées par la Plateforme sont guère convaincantes, offrant à tout le Kosovo un statut de neutralité ou de large autonomie au sein de la Serbie28. Du reste, les compétences requises pour la communauté serbe du Kosovo sont loin de couvrir tous les aspects de l’exercice de la souveraineté, ce qui semble placer Priština dans la position de l’Etat central. La question semble à l’heure actuelle tranchée : c’est bien d’une autonomie de la communauté serbe au sein d’un Kosovo indépendant que l’on parle, la question principale au cœur des discussions ultérieures portant sur le degré d’autonomie serbe accordé par Priština ainsi que sur la structure et les compétences des institutions sur lesquelles cette autonomie repose.
Le 6 février 2013 a lieu un événement d’une importance capitale : le Président serbe Tomislav Nikolić et la Présidente kosovare Ahtifete Jahjaga se rencontrent à Bruxelles en présence de Catherine Ashton. C’est la première rencontre à ce niveau, et son caractère bilatéral en renforce la signification. Ce précédent sera suivi d’autres : les deux présidents sont présents lors du 18e sommet multilatéral des Chefs d’Etat d’Europe centrale de Bratislava les 12 et 13 juin. Cette rencontre suit le format dit « gimnih » selon lequel les invités participent sans symbole étatique ni mention. Pour l’heure, c’est le seul format allant au-delà de la représentation traditionnelle du Kosovo sous la Résolution 1244 qui semble être accepté par la Serbie, laissant une marge d’évolution à venir. Les tentatives de sortir de ce cadre neutre de représentation se sont généralement soldées par un refus serbe, en témoigne l’annulation de la Conférence d’Ohrid des 1 et 2 juin 2013. Signe d’une évolution vers une plus grande formalisation, les deux présidents ont également assisté aux cérémonies d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne à Zagreb les 30 juin et 1er juillet. Bien que la Serbie ait conditionné sa participation au suivi du format « gimnih », la représentativité des délégations d’invités dans un tel cadre ne laisse guère place au doute.
Bien que la rencontre du 6 février ne soit pas particulièrement liée au dialogue en cours, sa proximité symbolique avec lui ne fait pas de doute puisqu’il s’agit de la première rencontre au niveau des chefs d’Etat au moment même où le dialogue politique est conduit par les Premiers ministres. On ne peut que constater l’augmentation du niveau des rencontres depuis l’époque de Stefanović qui n’était qu’un fonctionnaire à mandat technique. L’absence de nécessité ou de raison précise de cette rencontre au plus haut niveau, et notamment l’absence de lien explicite avec le dialogue politique, écartent l’invocation de raisons techniques ou d’une urgence politique au seul profit de la portée politique et symbolique de l’événement. Très certainement, une nouvelle pratique a ainsi été établie29.

III – L’Accord de Bruxelles : dispositions et conséquences

Le 19 avril 2013, au terme de dix rencontres de négociations politiques, l’Accord de Bruxelles est conclu. Il est salué par la communauté internationale comme une étape historique dans l’histoire des Balkans et de la question kosovare. Trois éléments nous intéressent ici. Il s’agit d’abord d’explorer la question du statut de l’Accord au regard du droit international. Ensuite, il s’agit d’examiner les dispositions de l’Accord à la lumière du droit international. Enfin, le contexte général (comportement des parties, application de l’Accord) a également son importance. Ces trois aspects ont une incidence sur la question de la reconnaissance.
a – Statut de l’Accord de Bruxelles au regard du droit international : un traité international ?
La définition du traité et sa désignation en droit international sont larges et flexibles. Le droit international n’attache une importance excessive au formalisme à cet égard. La réalité couverte par le traité internationale peut être désigné d’une multitude de manières : traité, accord, charte, convention, protocole, etc. Le choix de telle dénomination plutôt que de telle autre n’affecte aucunement a réalité contractuelle, sa portée ou son ancrage dans le droit international. Ainsi, le qualificatif d’ « accord » dans le cas en l’espèce ne saurait préjuger de sa nature. Celle-ci se déduit de la forme écrite des engagements contractés, bien présente en l’espèce sous la forme d’un document en quinze points énonçant un certain nombre de dispositions qui apparaissent comme autant d’obligations incombant aux deux parties. Il faut mentionner une évolution révélatrice : durant la phase technique, la position officielle serbe insiste en la personne de B. Stefanović sur l’emploi du terme „договор“ qui se traduit sans ambiguïté par le terme « accord » là où Edita Tahiri défend l’emploi du terme „споразум“, dont la signification française, située à mi-chemin entre l’accord et le traité, marque un degré supérieur de formalité, de solennité et d’officialité30. Durant la phase politique, le terme « споразум » ne fait plus controverse chez la partie serbe, en témoigne le titre final de l’Accord de Bruxelles. De même, dans le texte final de l’Accord, Belgrade semble avoir abandonné l’appellation officielle de sa province « KosovoMétochie » au profit du simple « Kosovo ».
De même, la forme du document ou de la conclusion n’est pas rigide. Si la signature par les parties d’un même document énonçant les obligations respectives qu’elles ont convenues constitue la forme la plus classique et évidente de traité international, cela n’est pas une obligation, en témoigne la pratique internationale. A cet égard, l’arrêt de la CIJ du 1er juillet 1952 en l’affaire Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni) considère comme un document conventionnel unique un traité et deux déclarations écrites émises par les Etats. Autre exemple, les accords d’Alger du 19 janvier 1981 conclus pour mettre fin à la crise des otages américains à Téhéran sont constitués de plusieurs accords conclus entre d’une part l’Algérie, jouant le rôle de médiateur et de garant, et d’autre part l’Iran et les Etats-Unis, respectivement. L’ensemble de ces accords est considéré comme un traité international liant l’Iran et les Etats-Unis. Un dernier exemple est fourni par l’arrêt de la CIJ du 1er juillet 1994 en l’affaire de la délimitation maritime et territoriale entre Bahreïn et le Qatar. Dans cet arrêt, la Cour considère un procèsverbal signé par les ministres de ces deux Etats comme un traité liant les deux Etats. Dans le cas en l’espèce, il semble que l’on ait affaire à une forme plus classique d’accord, ce qui rend d’autant plus difficile la remise en doute de son caractère international. Les chefs de délégation respectifs jouant le rôle de plénipotentiaires de l’Etat sont les Premiers ministres de la Serbie et du Kosovo. Il est généralement admis que les actes des titulaires d’un tel poste sont de nature à engager la responsabilité internationale de l’Etat y compris dans le cas de la conclusion d’un traité en forme simplifiée. A noter que le Président serbe a également manifesté son soutien à la signature de l’accord par son Premier ministre, ce qui ne laisse pas de doute quant à la réalité de l’engagement international de la Serbie résultant de la conclusion de l’Accord de Bruxelles. La forme de la marque apposée par les Premiers ministres sur le texte de l’Accord (un paraphe et non une signature) a parfois été invoquée pour dénier à l’accord tout caractère international. Cette objection apparaît peu convaincante. Non seulement on voit mal la différence devant résulter d’une telle subtilité de forme en terme de statut de l’accord, mais tout doute est en outre dissipé par la phrase apposée par Ivica Dačić à son paraphe : « Je confirme de cette manière qu’il s’agit ici de la proposition de texte à propos duquel les deux parties devront soumettre leurs décisions respectives d’acceptation ou de refus. »
Un autre aspect permettant d’apprécier le statut de l’Accord de Bruxelles est la présence ou l’absence de ratification de la part des deux parties. Si établie, l’existence d’une procédure de ratification de l’Accord par les organes internes des deux parties laisserait peu de doutes sur le caractère international de l’accord. Côté kosovar, l’Accord a fait l’objet d’une ratification formelle par l’Assemblée nationale le 21 avril puis le 27 juin 2013. Côté serbe, le déroulement des événements est plus complexe. Bien que la Serbie ait pour obligation de se prononcer sur l’Accord en vertu de la mention précitée apposée par le Premier ministre sur le texte, les communications du gouvernement font état d’une procédure non de « ratification » mais de « confirmation » par le Parlement. De plus, la procédure ne porte pas directement sur le texte de l’Accord, mais sur l’adoption d’un rapport du gouvernement sur l’état d’avancement du dialogue dans lequel est inclus le texte de l’Accord31. Dans un premier temps, le 22 avril 2013, le gouvernement adopte à l’unanimité son rapport contenant le texte de l’Accord de Bruxelles et communique à Catherine Ashton sa décision d’accepter l’Accord. Le 26 avril, l’Assemblée nationale serbe adopte le rapport du gouvernement contenant le texte de l’Accord par 173 voix pour, 24 contre, 5 abstentions et 1 absent. Les ambiguïtés formelles de la procédure jetant le doute sur sa nature ne résistent pas à l’analyse. En effet, la stratégie de communication du gouvernement consistant à éviter l’emploi du terme « ratification » se heurte aux termes mêmes de la Constitution serbe du 8 novembre 2006 dont l’article 16 utilise le terme « confirmation » – потврда – concernant la ratification des traités internationaux. D’autre part, si le texte de l’accord est inclus dans le rapport adopté, c’est bien le texte de l’Accord que les deux parties s’engageaient à accepter ou à refuser. La mention apposée par Dačić sur le document final semble même aller plus loin : le texte du document paraphé n’est qu’une proposition qui atteint le plein statut d’Accord seulement au terme des procédures internes de ratification. Le droit international ne requiert pas une procédure de ratification formelle spécifique ; cette indifférence formelle laisse la prérogative aux droits internes en la matière, et seule l’issue de la procédure – c’est-à-dire la déclaration par l’Etat que la ratification a été effectuée avec succès – est prise en compte par le droit international. Ici encore, un Etat n’est pas susceptible d’invoquer une violation de son droit interne en vue de se dégager de ses obligations contractuelles. C’est donc bien d’une procédure de ratification qu’il s’agit en l’espèce, ce qui ajoute aux arguments ne permettant guère de douter du caractère international de l’Accord de Bruxelles.
En outre, à supposer que la procédure suivie par les organes internes de la partie serbe ne constitue pas une ratification, le droit international admet la possibilité pour les Etats de conclure des traités en forme simplifiée, c’est-à-dire ne rendant pas indispensable la procédure de ratification. Les représentants habilités à la négociation et à la signature de l’Accord ont le rang suffisant pour engager leurs Etats respectifs par leurs actes, même dans le cas d’un traité en forme simplifiée. L’article 16 de la Constitution ne prévoit la possibilité que de traités en forme solennelle, d’où le renforcement de la présomption en faveur d’un processus de ratification dissimulé derrière le terme de « confirmation ». La qualification par la Serbie de l’Accord comme d’un « acte au statut neutre », probablement explicable par la restriction posée par l’article 16 de la Constitution32, n’empêche pas qu’au plan international cet Accord puisse constituer un traité international. Une fois encore, un Etat ne peut invoquer son droit interne en vue de justifier la non-exécution de ses obligations conventionnelles33.
L’Accord de Bruxelles ressemble bien à un traité international qui ne dit pas son nom, notamment en raison du processus de ratification et parce que les parties sont traitées sur un pied d’égalité.
b – Examen des dispositions de l’Accord
L’Accord de Bruxelles est constitué de 15 points qui apparaissent en réalité comme de véritables articles. Il y est souvent fait référence sous le qualificatif d’ « accord en 15 points », ce qui apparaît comme une autre forme de masquer la réalité ou d’insister sur le caractère informel du document, interprétation que les procédures de ratification excluent cependant clairement. Le titre officiel complet de l’Accord est « Premier accord sur les principes régissant la normalisation des relations ». Confirmant la dimension politique du dialogue, il affirme clairement la substance de l’Accord : la normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo. L’incertitude résultant du caractère inachevé de la phrase – normalisation des relations… entre qui et qui ? – est dissipée par la signification claire du terme « normalisation » en droit international : dans le cas en l’espèce où les parties sont la Serbie et le Kosovo, il ne peut s’agir que de la normalisation des relations entre deux Etats, dans le sens défini supra.
Le contenu à proprement parler de l’Accord porte sur des domaines pouvant légitimement faire l’objet d’un traité international en raison de la nature des obligations que l’Accord fait incomber aux parties. Les dispositions font penser à un traité de coopération entre deux Etats sur une question d’intérêt commun. Le premier point prévoit l’établissement d’une Association/Communauté de municipalités à majorité serbe au Kosovo. Le point 3 prévoit que « Les structures de l’Association/communauté seront établies sur le même mode que le Statut de l’association des municipalités kosovares existant, c-à-d Président, vice-Président, Assemblée, Conseil. » Adopté par l’Association des municipalités kosovares lors de sa réunion du 30 juin 2010, le Statut de l’Association des municipalités kosovares tire son fondement juridique de l’article 31 de la loi sur l’autonomie locale n° 3.L – 040 (Journal officiel de la République du Kosovo n° 28.2008) ainsi que de l’article 10 de la Charte européenne de l’autonomie locale de 1985 (repris par le point 4 de l’Accord de Bruxelles). Il ne fait pas de doute que le Statut de l’Association des municipalités kosovares est ancré dans le droit interne de la République du Kosovo34. Par conséquent, l’établissement de l’Association/Communauté de municipalités à majorité serbe au Kosovo « sur le même mode que le Statut de l’association des municipalités kosovares existant », assorti de garanties législatives et constitutionnelles prévues au point 2, s’effectue sans aucun doute dans le cadre du droit interne kosovar et implique une acceptation de ce dernier par les deux parties. Certes, la garantie offerte par le point 2 en vertu duquel la dissolution de l’Association/Communauté de municipalités à majorité serbe au Kosovo ne peut avoir lieu que sur seule décision des municipalités membres place l’entité créée dans une position moins vulnérable vis-à-vis des autorités centrales qu’une association classique. Le statut particulier de cette Association/Communauté ressort également des modifications législatives et constitutionnelles requises, ce qui n’est pas le cas lors de l’établissement d’une association classique.
D’autres dispositions de l’Accord confirment que l’établissement de l’Association/Communauté de municipalités à majorité serbe au Kosovo se situe bien dans le cadre du droit interne kosovar existant et par conséquent au sein du Kosovo indépendant, en dépit des formulations floues délibérées. Notamment, l’octroi par le point 4 de domaines de compétence spécifiques à l’Association/Communauté suppose que les autres domaines non mentionnés sont laissés aux autorités de Priština. Cette déduction est confirmée par le point 5 : « Les autorités centrales peuvent déléguer à l’Association/Communauté l’exercice d’autres compétences supplémentaires ». Le terme d’autorités centrales est repris au point 6 prévoyant le rôle représentatif de l’Association/Communauté auprès d’elles. L’octroi à l’Association/Communauté d’un siège au sein du Conseil consultatif des communautés35 situe celle-ci au sein des organes étatiques kosovars. Les points 7, 8 et 9 prévoient l’existence d’une force de police unique sur tout le territoire du Kosovo, notamment au moyen de l’intégration en son sein des membres des structures serbes de sécurité au nord du Kosovo. Cette absorption est assortie de contreparties et de garanties en matière de structure locale de la police au nord. De même, le point 10 prévoit l’intégration des structures judiciaires serbes dans le secteur judiciaire kosovar en contrepartie d’une certaine forme de décentralisation. Le point 11 situe les élections serbes prévues dans le droit kosovar. Par le point 14, les parties s’engagent mutuellement à ne pas faire obstacle à leurs intégrations européennes respectives. L’opposition de la Serbie à ce que le point 14 englobe l’adhésion aux organisations internationales en général semble ne répondre qu’à l’impératif de sauver la face. En effet, en tant qu’organisation internationale, l’Union européenne n’accepte pour membres que des Etats. Même la situation particulière de Chypre, le seul cas particulier parmi les Etats membres, le confirme : l’île toute entière fait de jure partie de l’Union européenne même si les effets juridiques de cette adhésion et l’application de la législation européenne sont suspendus sur le territoire de la partie nord de Chypre. Dans tous les cas, il semble exclu que la Serbie et le Kosovo puissent devenir membres de l’Union européenne sans reconnaissance mutuelle, étant donnée les relations étroites entre Etats membres résultant du mode de fonctionnement interne de l’Union européenne et de sa nature particulière sui generis, à certains égards plus proche d’un Etat fédéral que d’une organisation internationale. Il est exclu que les autorités serbes ignorent cet aspect.
Ainsi, le contenu de l’Accord semble indiquer qu’une reconnaissance implicite de la souveraineté kosovare par la Serbie est en cours.

c – Autour et au lendemain de l’Accord

Le contexte d’adoption de l’Accord (déclarations et prises de positions des différents acteurs) ainsi que les développements relatifs à sa mise en œuvre présentent un intérêt en matière de reconnaissance d’Etat.
Juste après la conclusion de l’Accord, la Serbie obtient de l’OTAN des garanties sécuritaires pour la mise en œuvre de l’Accord, et notamment la garantie que la police kosovare ne pénètrera pas sur le territoire des quatre municipalités  du nord du Kosovo. Ce geste en dit long sur le contrôle qu’aura la Serbie sur cette partie du territoire durant la mise en œuvre de l’Accord et après avoir démantelé ses propres structures de sécurité.
Les déclarations des officiels serbes au lendemain de la conclusion de l’Accord font état d’une victoire serbe. Rappelant à juste titre que la Serbie a obtenu le maximum possible, les négociateurs soulignent que toutes les exigences et propositions de la partie serbe ont été acceptées dans la version finale du texte36. On note en outre un démenti systématique par la Serbie des interprétations du Kosovo sur la portée, la signification et les implications des négociations et de l’accord en matière de reconnaissance. La partie serbe rappelle enfin que le règlement du statut final du Kosovo, qui ne fait pas formellement l’objet de l’Accord, fera partie des thèmes abordés à l’occasion de la poursuite ultérieure du dialogue politique. Cependant, à y regarder de plus près, certaines déclarations sont problématiques. Alors qu’Aleksandar Vučić affirme « nous n’avons pas reconnu le Kosovo » et rappelle que le texte de l’Accord ne fait nulle part mention du terme reconnaissance, il livre un peu plus tard en substance lors d’une entrevue télévisée que la vérité est que le Kosovo n’a pas la souveraineté sur la totalité de son territoire et que la Serbie a perdu la souveraineté sur la majeure partie du Kosovo. De même Ivica Dačić déclare que beaucoup d’officiels ont menti par le passé lorsqu’ils affirmaient que le Kosovo est en Serbie37. A cet égard, l’unité entre le Président et le gouvernement n’est pas toujours totale et fait parfois place aux contradictions : alors que le Président Nikolić défend l’intégrité territoriale de la Serbie – incluant le Kosovo – le Premier ministre n’a parfois pas caché son intérêt pour une solution de partition38.
De ces déclarations contradictoires et des développements liant un épisode positif à un épisode négatif, il faut regarder la direction sur le long terme. Souvent en effet, les développements ultérieurs viennent nuancer voire infirmer certaines prises de position négatives. Ces changements de posture semblent pointer vers un processus de reconnaissance implicite et progressive, à en juger par le mouvement d’ensemble. Il ne faut pas oublier que les artisans serbes de l’Accord de Bruxelles, dénoncé par la presse nationaliste comme une forme de reconnaissance de la souveraineté kosovare39, proviennent eux-mêmes des rangs nationalistes40, et leur passé politique laissait guère prévoir ce genre de développement. Autre exemple, Edita Tahiri déclarait le 25 avril 2011 pour le quotidien serbe Вечерње новости (p.3) que « Le concept est qu’il s’agit d’un dialogue portant sur des questions techniques et que les thèmes politiques ne seront jamais acceptés. » Si les négociations ont certes pour raison d’être de permettre aux parties d’atteindre le résultat le plus favorable à leurs intérêts respectifs au moyen de ce processus temporel, la succession parfois notée d’un refus puis d’une acceptation d’un accord négocié par la partie serbe suggère également une opération de communication en vue de sauver la face, de masquer les actes réels du gouvernement à l’opinion publique et de diffuser l’image d’une équipe combattive capable de défendre les intérêts nationaux. On peut noter comme exemple le refus serbe de la proposition d’accord au terme de la huitième rencontre du dialogue politique suivi de la conclusion de l’Accord de Bruxelles seulement onze jours plus tard, ou encore la conclusion de l’accord technique sur la gestion intégrée des frontières seulement deux jours après l’annonce de l’absence d’accord par Stefanović41.
Un autre élément de la stratégie de communication du gouvernement en vue de sauver la face et de dissimuler la réalité se trouve dans ses initiatives prises de manière simultanée dans des domaines différents et ayant une résonance favorable dans le camp nationaliste. Annoncée en grande pompe, la signature d’une Déclaration de partenariat stratégique est signée par les Présidents Poutine et Nikolić le 24 mai 2013 à Sotchi. Cet événement constitue la clé de voûte d’une rhétorique de relance du partenariat stratégique entre les deux Etats. L’effet d’annonce détourne l’attention de l’opinion publique de la question du Kosovo, met la pression sur l’Union européenne en montrant qu’elle n’est pas le seul grand partenaire de la Serbie et contribue à redorer l’image du gouvernement aux yeux de l’opinion publique. Poutine a également réaffirmé le soutien de la Russie à la Serbie sur la question du Kosovo quel que soit son choix final. Lors de la rencontre bilatérale de Sotchi, Nikolić déclare « la Serbie est reconnaissante envers la Fédération de Russie pour être du bon côté, du côté du droit international, concernant notre problème au Kosovo. » L’initiative du resserrement des liens avec la Russie a pour objectif de satisfaire le camp nationaliste qui dénonce la trahison du gouvernement au Kosovo, et de permettre ainsi à certains développements et à certains choix sur la question du Kosovo d’être réalisés avec un succès autrement compromis.
Tout au long du dialogue, on constate des déclarations répétées de la Serbie que le processus en cours ne constitue pas une forme de reconnaissance de la souveraineté kosovare, et que la Serbie n’entend pas reconnaître le Kosovo comme Etat indépendant42. Selon le droit international, une telle qualification de l’Etat accompagnant ses actes peut entériner une non-reconnaissance43. De plus, en parallèle de la phase technique du processus, le Ministère des affaires étrangères serbe a mené, à l’initiative du Ministre d’alors Vuk Jeremić, une campagne diplomatique active contre la reconnaissance du Kosovo par d’autres Etats. De fait, le dialogue a ralenti le rythme des reconnaissances. Cela, avec le refus serbe d’accepter l’interprétation kosovare déclarée de la portée du processus, pourrait suggérer une position claire de la Serbie sur la question de nature à conclure à une non-reconnaissance si ces développements ne se confrontaient pas à aux autres comportements allant dans le sens contraire et examinés dans le présent article. Tout au plus ces refus compliquent-ils la mise en évidence de la certitude d’une volonté de reconnaître. Verbaux pour la plupart, ces efforts peuvent être interprétés comme une tentative politique des autorités serbes de gêner une évolution qu’elles savent inéluctable en vue de gagner du temps et de sauver la face. Les comportements analysés dans le présent article montrent cependant que derrière ce vernis verbal les autorités sont conscientes de la direction du processus qu’elles ont accepté et dont elles accompagnent la progression. Rien, dans les comportements d’opposition, ne préjuge d’une possible reconnaissance ultime, au moins implicite, préparée/annoncée/amorcée par le dialogue. Dans le cas contraire, l’implication active de la Serbie dans le dialogue – en particulier dans sa phase politique – et la conclusion de l’Accord de Bruxelles demeureraient inexplicables. A noter que les déclarations se bornent pour la plupart à affirmer que la Serbie n’a pas jusqu’à présent reconnu le Kosovo et que les comportements – ambigus, peu expliqués et mollement démentis – laissent la porte ouverte à une reconnaissance qui sera appelée à se cristalliser avec le temps, à mesure que le recul et les événements ultérieurs jettent lesdits comportements leur lumière réelle. Cette reconnaissance implicite constituée de l’ensemble des comportements serbes au terme de la mise en œuvre de l’Accord viendrait finaliser les premiers mouvements constitutifs de cette reconnaissance déjà accomplis.
Autre indice que la réalité et les conséquences du dialogue et de la conclusion de l’Accord de Bruxelles sont en porte-à-faux avec les déclarations du gouvernement, la réaction de la population serbe du nord du Kosovo et de ses représentants au lendemain de la conclusion de l’Accord considère ledit Accord comme une trahison et un abandon du Kosovo par Belgrade ainsi qu’une reconnaissance implicite du Kosovo. Concernés par la mise en œuvre de l’Accord, les Serbes du nord du Kosovo ont affiché vigoureusement leur rejet de l’Accord en adoptant, lors d’un rassemblement populaire extraordinaire organisé par leurs représentants élus à Kosovska-Mitrovica le 22 avril 2013, une Déclaration portant établissement de l’Assemblée de la province autonome de Kosovo-Métochie. Evocateur, le premier point de cette Déclaration déclare que « le peuple de Serbie vivant [au nord du Kosovo] ne permettra pas [la] mise en œuvre [de l’Accord de Bruxelles], car en faisant cela il tomberait sous le contrôle de l’Etat fantoche du Kosovo. », ce que réaffirme le point 4 sous une autre forme. En rejetant l’Accord, les Serbes du nord du Kosovo, que ledit accord concerne au premier chef, sous entendent que son application équivaut à une reconnaissance serbe de la souveraineté kosovare. Ce faisant, par l’intermédiaire de leurs représentants élus, les Serbes du nord du Kosovo confirment la constance de leur attitude depuis la déclaration unilatérale d’indépendance de 2008. De l’établissement des structures serbes parallèles au lendemain des élections du 11 mai 200844 afin d’assurer la continuité serbe à la déclaration du 22 avril 2013 annonçant la création de l’Assemblée de la province autonome de Kosovo-Métochie en passant par le boycott systématique de la participation aux structures étatiques et élections kosovares ainsi que l’organisation du référendum du 15 février 2012, la ligne politique des Serbes du Kosovo répond à l’objectif de demeurer au sein du territoire national de la Serbie et à un refus d’entreprendre toute action qui pourrait entériner ou impliquer une reconnaissance de la souveraineté kosovare. Ce faisant, les Serbes du Kosovo eux-mêmes apparaissent conscients des conséquences réelles de la politique actuelle de Belgrade. Cette interprétation de la nature et des conséquences réelles de la politique de la Serbie semble confirmée par le comportement subséquent de Belgrade vis-à-vis des représentants élus de la communauté serbe du Kosovo hostiles à la mise en œuvre de l’Accord. En effet, il semble que Belgrade ait opéré le changement des maires serbes de 12 municipalités au Kosovo lors de la phase initiale de mise en œuvre de l’Accord de Bruxelles45. D’autres acteurs importants font état de ce fossé entre le discours et les actes du gouvernement. A l’occasion des discussions relatives au vote de confirmation à l’Assemblée nationale, le président du principal parti d’opposition Dragan Đilas (Parti démocratique) déclare son soutien à l’Accord à condition que le gouvernement dise la vérité aux citoyens sur sa signification. De même, l’influente Eglise orthodoxe serbe condamne la conclusion de l’Accord en des termes similaires46.
Les épisodes de l’application de l’Accord jusqu’à aujourd’hui confirment la porte ouverte laissée par le gouvernement à une reconnaissance en cours selon toute probabilité. Lors des négociations ultérieures, Ivica Dačić et Hashim Thaçi paraphent le 22 mai 2013 un Plan d’application de l’Accord entre Belgrade et Priština, confirmé par les organes régaliens des deux Etats le 26 mai. Donnant en six points les délais et directions générales de la mise en œuvre de l’Accord à l’attention du Comité technique de mise en œuvre, le Plan d’application lève l’ambiguïté sur quelques dispositions de l’Accord, confirmant ses implications en termes de reconnaissance. Notamment, le point 1 prévoit l’adoption par le Kosovo d’une loi d’amnistie pour les citoyens serbes. Sur ce point, Dačić a annoncé le 25 juin la conclusion la veille d’un accord de principe par les équipes techniques concernant les modalités et motifs d’application de l’amnistie. Il justifie cette entente par la nécessité de s’assurer qu’il n’existe pas au Kosovo de volonté politique en vue que certains citoyens « échappent à l’amnistie », « car au nord du Kosovo il n’existe pas un Serbe ayant soutenu ou soutenant l’indépendance du Kosovo »47. Cet accord apporte une preuve supplémentaire que l’amnistie doit être appliquée par l’Etat du Kosovo et que la Serbie n’aura aucune emprise sur l’amnistie une fois celle-ci définie et mise en place, écartant le scénario d’autonomie dans l’autonomie pourtant évoqué par Dačić lui-même quelques mois plus tôt. Le point 2 du Plan d’application précise que la mise en place de l’équipe de gestion pour l’établissement de l’Association/Communauté – composé de représentants des quatre municipalités serbes du nord et en charge notamment de rédiger une proposition de statut de l‘Association/Communauté – tiendra son mandat du gouvernement du Kosovo. Pour le reste, le Plan d’application confirme l’établissement de l’Association/Communauté au sein du Kosovo indépendant – prévu par le point 2 au plus tard pour la fin octobre 2013 à la suite des élections municipales – ainsi que l’intégration des structures policières et judiciaires serbes dans le système interne kosovar. Notamment, le point 3 prévoit la fermeture des bureaux du Ministère de l’intérieur serbe présents au Kosovo (désignés comme « institutions des structures serbes de sécurité ») au plus tard à la mi-juin, ce qui matérialise le retrait d’un organe régalien de l’Etat nécessaire à l’administration d’une partie de son territoire, et ainsi le renoncement de l’Etat au contrôle d’une partie de son territoire.
Constatation intéressante en lien avec la discrétion de la partie serbe vis-à-vis de la population quant au contenu et aux implications de l’Accord de Bruxelles, l’introduction du Plan d’application précise que « les deux parties poursuivront leurs efforts en vue d’informer leurs électeurs du contenu du « Premier accord » et du Plan d’action ». Contrastant avec l’attitude plus transparente du Kosovo envers sa population, le gouvernement serbe ne semble avoir investi de réels efforts d’information qu’envers les représentants des Serbes du Kosovo, en témoigne la série de discussions visant à convaincre les représentants des Serbes du Kosovo d’accepter l’Accord de Bruxelles et de participer à sa mise en œuvre. L’information des citoyens semble être restée superficielle, maintenue au strict minimum et parfois déformée. Ce manque de transparence suggère que l’exposition de la nature réelle de l’action gouvernementale – avoir fait un choix entre l’Union européenne et le Kosovo dont la conséquence logique est la reconnaissance de la souveraineté kosovare – risquerait de confronter le gouvernement à une forte impopularité.
Intervenu le 17 juin 2013 conformément à l’Accord et au Plan d’application, l’échange des officiers de liaison entre Belgrade et Priština ressemble à un échange d’ambassadeurs, bien que cette interprétation ait été démentie par Ivica Dačić48. A cet égard, la démission de l’officier de liaison kosovar dès le 19 juin est révélatrice de la nature et l’enjeu de cet échange. En effet, l’officier de liaison kosovar justifie sa démission de ce qu’il qualifie de « services diplomatiques du Kosovo » par les critiques de Thaçi vis-à-vis de sa déclaration selon laquelle la normalisation des relations entre les deux pays ne pourrait avoir lieu qu’avec la reconnaissance du Kosovo par la Serbie. Compte tenu de l’équation répétée par Thaçi lui-même entre la conclusion de l’Accord de Bruxelles et la reconnaissance de la souveraineté kosovare par la Serbie, cette critique confirme que du point de vue du Kosovo la reconnaissance a été accomplie. Elle peut également se justifier par le souci de ne pas froisser la partie serbe ou de lui forcer la main par un discours trop explicite, ce qui pourrait avoir pour conséquence malheureuse d’interrompre le processus en cours. Permettre à l’autre partie de sauver la face est précisément l’une des techniques d’une négociation réussie. Certains actes ne peuvent être pleinement révélés qu’ultérieurement, une fois les négociations définitivement closes. Cela montre en outre que la reconnaissance n’est pas forcément un acte unique et ponctuel mais peut prendre la forme d’un processus de normalisation et qu’elle peut être tacite. De manière tout aussi révélatrice, cet incident puis le remplacement de l’officier de liaison kosovar n’a suscité aucune réaction ou commentaire particuliers de la partie serbe, comme pour en minimiser la portée.
Les équipes techniques d’application de l’Accord ont été formées en vertu du point 15 de l’Accord. Elles ont commencé leurs négociations et la mise en œuvre de celui-ci a débuté. Notamment, l’équipe de gestion pour l’établissement de l’Association/Communauté de municipalités à majorité serbe au Kosovo a été nommée par le gouvernement serbe le 14 juin 2013 et a commencé de fonctionner le 18 juin. Formée de quatre membres serbes du Kosovo provenant de chacune des quatre communes serbes du nord, elle est chargée des questions techniques liées à l’établissement de l’Association/Communauté, notamment la rédaction de son Statut définissant ses compétences. A cet égard, le remplacement des structures parallèles serbes par l’Association/Communauté suggère la reconnaissance par la Serbie qu’elle ne contrôle plus ses citoyens au Kosovo, quel que soit le degré d’autonomie finalement octroyé à la communauté serbe du Kosovo via l’Association/Communauté, car celle-ci se situe clairement au sein d’un Kosovo indépendant. En outre, si la Serbie conserve la faculté de participer au financement du fonctionnement de l’Association/Communauté, les conditions de contrôle de la transparence de ce financement sont strictement définies par l’Accord de Bruxelles et le Plan d’application. Autre développement relatif à l’équipe de gestion pour l’établissement de l’Association/Communauté de municipalités à majorité serbe au Kosovo, en application du point 9 de l’Accord de Bruxelles et du point 3 du Plan d’application, le commandant régional de police pour les quatre municipalités serbes du nord, un Serbe du Kosovo (Nenad Đurić), a été nommé par le Ministère de l’intérieur du Kosovo le 25 juin 2013 sur proposition de l’équipe (serbe) de gestion. Cette nomination effectuée par un ministère kosovar suggère un certain degré de reconnaissance par la Serbie du gouvernement du Kosovo. De même, au plan judiciaire, l’établissement prévu d’une division de la Cour d’appel de Priština à Kosovska-Mitrovica nord ayant juridiction sur la population serbe (point 10 de l’Accord) ainsi que l’intégration des magistrats volontaires des anciennes structures parallèles serbes dans ce système semblent entériner une reconnaissance du système judiciaire kosovar par la Serbie qui accepte ainsi de soumettre ses ressortissants à la juridiction de ce système. A cet égard, par décision des autorités serbes prise en application de l’Accord de Bruxelles, les instances judiciaires serbes parallèles au Kosovo doivent cesser d’accepter de nouvelles requêtes d’instance à partir du 2 juillet 2013, premier pas vers leur démantèlement. En application du point 13 de l’Accord, le dialogue technique de l’équipe de mise en œuvre a abouti le 27 juin à une proposition accord en matière de télécommunications prévoyant notamment l’octroi au Kosovo d’un indicatif régional49. Si cet accord devait être confirmé, l’acceptation par la Serbie de cet octroi en principe réservé aux Etats indépendants constituerait une manifestation supplémentaire de reconnaissance implicite. Répondant au principe de transparence des financements serbes (point 12 de l’Accord et point 6 du Plan d’application), le fonds pour le développement du Nord-Kosovo, pouvant recevoir des financements de la Serbie à condition que celle-ci déclare l’objet précis du financement, est géré par la République du Kosovo.
Les zones d’ombre, ambiguïtés et contradictions dissimulent ce qui semble s’apparenter à un traité international bilatéral au regard du droit international, remplissant les conditions de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités (notamment l’article 1). Comme examiné supra, la conclusion d’un traité international comme forme implicite de reconnaissance mutuelle apparaît évidente dans le cas d’un traité bilatéral. Si le droit international actuel semble laisser une possibilité de conclure des accords fonctionnels sans que ceux-ci impliquent une reconnaissance, la portée de l’Accord de Bruxelles semble trop grande et son contexte trop politique pour que cet accord entre dans cette catégorie.

Conclusion

En résumé, il ressort de l’examen précédent des comportements de la Serbie à la lumière du droit international une forte présomption selon laquelle la Serbie, au terme de la conclusion de l’Accord de Bruxelles, a reconnu l’indépendance du Kosovo sous forme implicite et de manière conditionnelle. Cette condition est que les Serbes du Kosovo obtiennent une protection de leurs droits garantie par une autonomie substantielle50 ainsi que par le maintien de liens spéciaux avec la Serbie51.
Confusion, opacité, contradictions et déclarations négatives affectant le dialogue et l’Accord apparaissent davantage comme participant d’une stratégie de communication politique du gouvernement pour faire passer une décision impopulaire auprès des citoyens52 qu’un obstacle à l’établissement de manière certaine d’une volonté de reconnaître. La reconnaissance implicite prend ici la forme d’un processus au sein duquel elle se déduit par une lecture en creux des comportements et avec la conclusion duquel – la pleine mise en œuvre de l’Accord de Bruxelles – elle est appelée à se cristalliser pleinement.
Dans tous les cas, le processus de reconnaissance enclenché apparaît maintenant irréversible, et conclure ici que la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par la Serbie a bien eu lieu ne peut au pire qu’anticiper de peu la pleine finalisation de ce processus. En effet, la conditionnalité posée par l’Union européenne aux deux Etats pour leurs intégrations respectives place une pression certaine pour la pleine mise en œuvre de l’Accord ainsi que sur la poursuite du dialogue politique devant aboutir à la pleine normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo. Comme son titre lui-même semble l’indiquer, l’Accord de Bruxelles pourrait être suivi d’autres au sujet de la normalisation. Ainsi, si on peut s’attendre à une clarification de cette reconnaissance à l’avenir, les nombreuses tentatives de jouer sur les mots ne peuvent dissimuler que la véritable rupture a déjà eu lieu.

 

1 Le Centre de recherche internationale (CRI-IRC) est une organisation non-gouvernementale française créée en 2005 et basée à Paris.
2 Le présent article est un examen juridique technique d’une question spécifique au regard du droit international. Il n’a pas pour vocation de participer au débat politique sur la question de l’indépendance du Kosovo. Notamment, il ne s’agit pas ici de savoir si l’accession du Kosovo à l’indépendance souveraine est juste ou désirable.
3 Voir Patrick DAILLIER, Mathias FORTEAU, Alain PELLET, Droit international public, 8e édition, Paris, L.G.D.J., 2009, n°365 pp. 620-622. Ce qui ne manque pas d’intérêt, ce point est également confirmé par la littérature serbe : Смиља АВРАМОВ, Међународно јавно право, 6e édition, Belgrade, Савремена администрација, 1980, n° 48 pp. 61-62 ; Војин ДИМИТРИЈЕВИЋ, Обрад РАЧИЋ, Владимир ЂЕРИЋ, Татјана ПАПИЋ, Весна ПЕТРОВИЋ, Саша ОБРАДОВИЋ, Основи међународног јавног права, Belgrade, Београдски центар за људска права, 2005, p. 82.
4 Un signe de cette influence constitutive sur la doctrine déclarative est déjà visible dans la définition de l’Etat d’inspiration mixte élaborée à l’article 1 de la Convention panaméricaine de Montevideo sur les droits et les devoirs des Etats du 26 décembre 1933 (entrée en vigueur un an plus tard). En effet, aux trois critères d’existence de l’Etat s’ajoute un quatrième critère : la capacité d’entrer en relations avec les autres Etats. Il est évident que cette capacité dépend de la volonté des autres Etats d’établir des relations avec l’Etat en question, relations dont l’établissement se manifeste en premier lieu par la reconnaissance.
5 Renvoi relatif à la sécession du Québec, Cour suprême du Canada, 20 août 1998, [1998] 2 R.C.S. 217 ; 161 D.L.R. (4th) 385 ; 55 C.R.R. (2d) 1.
6 V. Patrick DAILLIER, Mathias FORTEAU, Alain PELLET, op. cit., 2009, n° 370-2 p. 631 : « Pour le reste, la pratique internationale est mal établie : aussi les Etats préfèrent-ils parfois préciser que leur comportement n’équivaut pas à une reconnaissance de leur partenaire. Puisque l’essentiel est que la volonté de reconnaître soit établie de façon certaine, un Etat peut toujours écarter l’interprétation favorable à une reconnaissance implicite par une déclaration contraire. »
7 La question de la licéité de la sécession en droit international ne fait pas l’objet du présent article. Il est généralement accepté que, ni licite ni illicite, la sécession n’est à ce jour pas régie par le droit international et se situe donc hors de son champ d’application tant qu’elle ne résulte pas d’un emploi illicite de la force ou qu’elle n’est pas réalisée en violation des normes impératives. Le droit international se limite à en entériner le résultat dès lors que la tentative de sécession aboutit avec succès à l’établissement d’un Etat (v. Cour suprême des Etats-Unis, arrêt Williams v. Bruffy, 96 U.S. 176 (1877)). Saisie en 2008 à l’initiative de la Serbie d’une demande d’avis consultatif sur la question de la licéité de la déclaration unilatérale du Kosovo, la Cour internationale de Justice a constaté que ladite déclaration ne viole pas le droit international. Voir C.I.J., Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, 22 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 438, §84. A noter que dans cette affaire, la Cour s’est prononcée sur la licéité de la déclaration d’indépendance elle-même, non sur la question de l’accession du Kosovo à la qualité d’Etat (v. pp. 423-426, §§49-56).
8 V. note 2 supra.
9 Ces exemples sont particulièrement pertinents dans le cas du Kosovo car ils illustrent des cas de reconnaissance qui sont loin d’être unanimes. En effet, ces trois Etats, dont la légitimité n’est généralement plus contestée, demeurent non reconnus par un nombre significatif d’Etats : aujourd’hui, la RASD est reconnue par 84 Etats membres des Nations Unies, l’Etat de Palestine est reconnu par 132 Etats membres des Nations Unies tandis que 32 Etats membres des Nations Unies ne reconnaissent pas l’Etat d’Israël.
10 Deux Etats non-membres des Nations Unies (la République de Chine ou Taïwan et l’Ordre de Malte) ont également reconnu l’indépendance du Kosovo. Celle-ci est reconnue par 23 des 28 Etats membres de l’Union européenne (82%). Le Kosovo a été également admis comme Etat membre du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
11 Par exemple le choix d’un lieu neutre, Bruxelles, la qualification initiale du dialogue de « technique » en vue d’exclure d’emblée toute concession politique relative au statut du Kosovo, ou encore l’emploi du terme « dialogue » plutôt que « négociations », du terme « accord » plutôt que « traité », la qualification des deux parties par le nom de leurs capitales plutôt que par le nom du territoire, la référence constante à la Résolution 1244 (10 juin 1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies comme régissant le statut du Kosovo, etc. Durant tout le processus, le choix des qualificatifs et des termes employés est un signe fort de l’évolution du dialogue. Ils témoignent d’une réduction de l’espace de neutralité à mesure que le dialogue progresse. Ainsi, chaque accord conclu réduit cette marge de neutralité qui rend possibles les interprétations divergentes des faits par chacune des deux parties.
12 Il est intéressant de noter que le chef de l’équipe de négociation serbe est issu non du Ministère pour le Kosovo-Métochie mais du Ministère des affaires étrangères. Interrogé sur l’ambiguïté de ce choix et sur le message implicite qu’il peut envoyer en terme de reconnaissance de la souveraineté du Kosovo, M. Stefanović répond de manière peu convaincante : « Nous avons réfléchi à la manière d’atteindre le meilleur résultat et de trouver la meilleure solution notamment par la personnalité ayant une certaine expérience en matière de processus de négociation. Cela ne représente en aucune manière aucun acte de reconnaissance du Kosovo, indépendamment du fait que le négociateur principal est une personne issue du Ministère des affaires étrangères. » La suite de ses propos est encore plus ambiguë : « Nous savons où est la ligne rouge, nous sommes conscients de la Constitution et de nos obligations nationales, mais d’un autre côté, afin de résoudre certaines choses il faut parfois savoir ne pas nommer les choses par un nom déterminé. » (propos publiés dans le quotidien Политика du 22 janvier 2011, p. A1). Cette ambiguïté laisse la possibilité d’une compréhension acceptant implicitement la souveraineté kosovare.
13 V. à cet égard l’article de l’analyste Duško Janjić dans le quotidien serbe Blic du 25 février 2011, p. 2 : « Le choix d’une personne occupant un haut poste du gouvernement comme chef de l’équipe de négociation montre que son équipe aura un caractère beaucoup plus officiel que la nôtre, et cela envoie un message politique. »
14 RTS, 3 mars 2011.
15 V. notamment Новинари то могу III, Youth Initiative for Human Rights, Belgrade, mai 2013, première partie, pp. 9-112. 
16 V. notamment la coopération technique existant entre la République de Chypre et la ‘République turque de Chypre Nord’. Par exemple, ces deux entités appliquent la liberté de mouvement à travers la ligne administrative de démarcation concernant les personnes, les véhicules et les biens (développement du commerce inter-entités). La même solution a été adoptée par la conclusion d’accords par la Serbie et le Kosovo lors de la phase technique du dialogue. La coopération entre les deux Corées est réelle (v. notamment l’accord explicite en ce sens du 13 décembre 1991) en dépit du fait que la Corée du Sud ne reconnaisse pas la Corée du Nord comme Etat souverain et que l’un de objectifs officiels de sa politique étrangère demeure la réunification.
17 Les parties ont convenu que le Kosovo sera désigné sous le seul terme « Kosovo* » et que l’astérisque renverra à la mention suivante : « Cette désignation est sans préjudice des positions sur le statut et est conforme à la résolution 1244 et l’avis de la CIJ sur la déclaration d’indépendance du Kosovo ».
18 A cette déclaration font écho les propos de Jelko Kacin, rapporteur du Parlement européen pour la Serbie, publiés à la même date : « La précondition nécessaire à une progression plus rapide de la Serbie (vers l’UE) est la normalisation des relations avec le Kosovo. Sans la pleine réalisation de la stabilité et de la coopération régionales, aucun Etat des Balkans occidentaux ne peut accéder à l’UE. »
19 RTS, 23 avril 2011
20 Entretien avec Andrej Ivanji publié sous le titre « Барикаде нису циљ, већ средство“ dans le magazine Време du 27 octobre 2011, p. 10. Le sous-entendu perceptible ici fait écho à certaines allégations infirmées selon lesquelles Stefanović aurait plusieurs fois proposé aux négociateurs kosovars en marge du dialogue de reconnaître la souveraineté du Kosovo en l’échange de la cession de sa partie nord à la Serbie. Stefanović a toujours vigoureusement démenti publiquement ces allégations.
21 B. Stefanović : « pour l’instant il n’existe pas d’alternative à ce dialogue… Nous ne nous rencontrons pas afin de nous reconnaître mutuellement mais afin de résoudre autant de problèmes concrets que possible, compte tenu de nos différences respectives. » (RTS, 1er avril 2011).
22 B92, 19 octobre 2012.
23 L’Allemagne place une pression particulière sur la Serbie en exigeant comme précondition à la poursuite de l’intégration européenne serbe le démantèlement des structures serbes parallèles au Kosovo puis la normalisation des relations entre les deux Etats, par exemple sous la forme de la conclusion d’un accord de relations de bon voisinage (v. le quotidien serbe Вечерње новости du 13 septembre 2012). La poursuite de la normalisation des relations avec le Kosovo devrait également constituer l’un des thèmes de discussion dans le cadre des négociations d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne.
24 Patrick DAILLIER, Mathias FORTEAU, Alain PELLET, op. cit., 2009, n° 366-2 p. 623. Les auteurs précisent cependant que la liberté d’action d’un Etat à reconnaissance limitée envers les Etats ne le reconnaissant pas est restreinte et que ceux-ci chercheront généralement à s’abstenir de toute action pouvant être interprétée comme une forme de reconnaissance implicite de cet Etat : « les traités qu’il conclura seront limités dans leur objet (règlement de problèmes techniques ou de problèmes politiques urgents) et leur négociation aura souvent un caractère officieux. » Cela semble précisément être le cas en l’espèce.
25 Conclusion confidentielle 05 du gouvernement n° 00-1/2013 du 9 janvier 2013. 26 Résolution de l’Assemblée nationale de la République de Serbie sur les principes fondamentaux régissant les discussions politiques avec les institutions provisoires d’auto-administration au KosovoMétochie, Journal officiel de la République de Serbie 1/2013, 13 janvier 2013. En annexe de la Résolution se trouve la Plateforme politique pour les discussions avec les représentants des institutions provisoires d’auto-administration à Priština. 
27 V. le rapport Људска права у Србији 2012, Belgrade, Београдски центар за људска права, 2013, p. 23.
28 L’ambiguïté sera longtemps maintenue par la partie serbe : à l’aube de la cinquième rencontre du dialogue politique, Ivica Dačić déclare encore le 19 février 2013 pour le quotidien Вечерње Новости (Срби ће сами бирати власт, p. 2) que la délégation serbe allait tenter « de définir une autonomie pour les Serbes au Kosovo, c’est-à-dire une autonomie dans l’autonomie. »
29 Le Président Nikolić a démenti que cette rencontre impliquait une reconnaissance tacite ou implicite de la souveraineté kosovare par la Serbie. A noter que de pareilles rencontres ont lieu entre les Présidents de la République de Chypre et de la « République turque de Chypre nord » dans le cadre du processus de négociation sur la réunification de l’île sous l’égide des Nations Unies, sans que cela implique une quelconque forme de reconnaissance à l’égard de la « RTCN ». La même approche caractérise le processus de négociation pour la résolution du conflit entre la République de Moldavie et la « République moldave du Dniestr » (Transnistrie).
30 V. Новинари то могу III, op. cit., 2013, p. 43.
31 Извештај о досадашњем процесу политичког и техничког дијалога са привременим институцијама самоуправе у Приштини уз посредовање Европске уније, укључујући процес имплементације постигнутих договора (26 p.), rapport soumis au gouvernement serbe en vertu du point 5 de la Résolution n° 4/13 de l’Assemblée nationale serbe. Il est adopté par le gouvernement le 22 avril 2013 puis par l’Assemblée nationale le 26 avril. Le texte de l’Accord de Bruxelles y est inclus pp. 23-25 en anglais et en serbe.
32 Parmi d’autres : notamment, le préambule et l’article 182 déclarent le Kosovo-Métochie province autonome serbe tandis que l’article 8 affirme l’unicité et l’indivisibilité du territoire de la Serbie. Dans tous les cas, l’argument selon lequel la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par la Serbie serait illégale car contraire à la Constitution serbe semble peu convaincant en droit international qui considère les droits internes comme des faits. Ainsi, un Etat ne peut se prévaloir de la violation de son droit interne pour invalider son comportement en droit international. Particulièrement en matière de sécession ou de modification du territoire d’un Etat, il suffit de modifier la Constitution afin de la mettre en accord avec la nouvelle réalité créée, ce qui peut arriver de manière postérieure.
33 V. notamment l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. V. également l’arrêt de la CPJI du 5 avril 1933 sur le Statut juridique du Groenland oriental (Danemark c. Norvège) dans lequel la Cour a considéré qu’au regard du droit international, la Norvège était liée par une déclaration émanant de son ministère des affaires étrangères en dépit de la remise en cause ultérieure de ladite déclaration par le Parlement norvégien.
34 A cet égard, le Statut de l’association des municipalités kosovares apporte un éclairage sur les raisons possibles de la dénomination duelle constante d’ « Association/Communauté » : si la partie serbe insiste sur l’emploi du terme « Communauté », qui implique à ses yeux un degré d’intégration supérieur susceptible de rapprocher ainsi la structure créée d’une entité fédérée offrant une garantie supérieure de protection, le terme « Association » se fonde sur la catégorie juridique existante dans le droit interne kosovar (v. article 2.1 du Statut).
35 Le Conseil consultatif des minorités a été établi par l’article 60 de la Constitution du Kosovo du 7 avril 2008 et est rattaché au bureau du Président du Kosovo.
36 Ivica Dačić : « Propositions de la Serbie acceptées ». Quotidien Данас en date du 19 avril 2013 : « toutes les propositions serbes acceptées dans la version finale du texte, point 9 inchangé […] et point 14 modifié sur la demande de Belgrade ».
37 Faisant ainsi écho à ses prises de positions antérieures. Le 18 mai 2011, il déclarait à B92 que les relations internationales sont telles qu’il n’est pas possible que le Kosovo reste au sein de la Serbie.
38 V. quotidien Блиц du 29 septembre 2012 „Следе тешке одлуке“, p. 5 : « Il est intéressant que le Président Nikolić affirme qu’il se conformera à la souveraineté et à l’intégrité de la Serbie, et que le Premier ministre recherche la partition du Kosovo. »
39 Voir par exemple les articles de l’hebdomadaire nationaliste Печат, notamment les n° 270 du 31 mai 2013 et 271 du 7 juin 2013. La presse modérée, à l’image de l’hebdomadaire НИН et du quotidien Политика, ont également évoqué ce thème. Dans son article intitulé « Accord de Bruxelles et mise en œuvre – premier pas vers la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo », Печат (n°273 du 21 juin 2013, p. 6) qualifie l’échange des officiers de liaison entre Belgrade et Priština d’échange d’ambassadeurs. Il est révélateur que de telles interprétations soient formulées par la presse nationaliste, celle qui appartient précisément aux opinions politiques les plus hostiles à l’indépendance du Kosovo et au dialogue. Autrement dit, si les opposants les plus vigoureux à l’indépendance du Kosovo font eux-mêmes preuve de lucidité sur la nature réelle des événements en cours, la présomption en faveur de la reconnaissance s’en trouve renforcée. En définitive, il semble que le gouvernement et le Président serbes soient isolés dans leurs qualifications ellesmêmes ambiguës en matière de reconnaissance du Kosovo, explicable selon toute probabilité par la nécessité de conserver une part de secret dans les négociations. Cette position suggère au démenti non suivi de mesures plus concrètes une valeur de confirmation. Situation similaire dans un autre domaine du droit international, la protestation étatique non suivie d’action qui équivaut à une acceptation de l’émergence d’une nouvelle norme coutumière (v. à cet égard Anthony D’AMATO, The Concept of Custom in International Law, 1971, chap. 7).
40 T. Nikolić et A. Vučić sont d’anciens membres du Parti radical serbe dont l’idéologie officielle inclut la réalisation de la Grande Serbie. Ils ont fait dissidence en 2007 pour fonder le Parti progressiste serbe. I. Dačić est un ancien proche du Président Milošević durant les années 1990.
41 Pour ses déclarations à cet égard, voir Новинари то могу III, op. cit., 2013, p. 108.
42 V. parmi d’autres notamment la Communication officielle du Président Nikolić du 3 juin 2013 intitulée La Serbie déterminée à régler le problème du Kosovo-Métochie : « Le Président Nikolić a déclaré que la Serbie ne reconnaîtra jamais l’indépendance du Kosovo-Métochie mais que concernant toutes les autres questions elle est prête à trouver un accord avec les institutions provisoires à Priština. » A noter l’ambiguïté de la formulation qui semble accepter que cette indépendance existe de facto. Plus ferme est la déclaration du Président durant l’entretien donné à Radio-Croatie lors de sa visite à Zagreb des 30 juin et 1er juillet, commentant la condition apparemment posée par l’Allemagne d’une reconnaissance du Kosovo en vue de l’adhésion de la Serbie à l’Union européenne : « la Serbie n’a pas reconnu [l’indépendance du Kosovo] ni ne peut, et il existe des conditions qu’elle ne peut satisfaire tant qu’il n’advient pas en réalité quelque chose qui permettrait que la Serbie et ce soi-disant Etat du Kosovo soient un jour deux Etats. » Les contradictions et revirements fréquents sur ce point par le passé contribuent à relativiser la portée d’une telle déclaration qui, au demeurant, laisse la porte ouverte à ce qu’elle semble refuser.
43 Patrick DAILLIER, Mathias FORTEAU, Alain PELLET, op. cit., 2009, n° 370-2 p. 631, v. citation note supra.
44 Déclaration sur l’établissement de l’Assemblée de la Communauté de municipalités de la province autonome de Kosovo-Métochie, adoptée à Kosovska-Mitrovica le 28 juin 2008. Cette création correspond auxdites structures serbes parallèles de sécurité. Depuis l’indépendance du Kosovo, elles sont financées et contrôlées par Belgrade, ce qui entraîne une souveraineté de facto divisée au Kosovo. L’Accord de Bruxelles prévoit leur démantèlement par la substitution de la Communauté/Association de municipalités à majorité serbe au Kosovo établie au sein du Kosovo indépendant.
45 Cet événement, qui n’a quasiment pas été relayé par les medias serbes, est rapporté par l’hebdomadaire Печат n° 271 du 7 juin 2013 (article « Споразум легализује и Косово и УЧК » pp. 10-12). Les officiels serbes ont déclaré plusieurs fois qu’ils avaient la possibilité de remplacer à tout moment les dirigeants locaux qui s’opposeraient à l’application de l’Accord, mais que le gouvernement serbe préférait éviter la confrontation et promouvoir la coopération avec les Serbes du Kosovo dont la participation est indispensable à la mise en œuvre de l’Accord.
46 Communication du Saint synode épiscopal de l’Eglise orthodoxe serbe du 22 avril 2013 intitulée « Adresse à l’Etat de Serbie et au peuple serbe concernant l’accord paraphé à Bruxelles », communiqué de presse du Patriarche Irinej. La Communication s’attache à rendre explicites les implications des actes du gouvernement serbe, notamment la conclusion de l’Accord, et interprète ces actes comme équivalant à une reconnaissance de la souveraineté kosovare.
47 V. article „Дачић: Усаглашена начела амнестије“ du quotidien Политика, agence de presse Танјуг, 25 juin 2013.
48 L’officier de liaison serbe Dejan Pavićević a précisé à cet égard : « ni [l’officier de liaison kosovar Lulzim] Peci qui sera stationné dans la Mission de l’UE à Belgrade ni moi qui serai stationné au Bureau de l’UE à Priština n’avons de statut diplomatique. Je répète qu’il ne s’agit pas de missions diplomatiques ni d’ambassades ni de Bureaux de liaison – il s’agit d’officiers de liaison, il s’agit de personnes qui faciliteront la communication dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord. », propos rapportés par le quotidien Политика du 14 juin 2013 (article « Договор о управљачком тиму за ЗСО »).
49 Annoncé le 27 juin 2013 par Catherine Ashton devant le Parlement européen ainsi que par le Ministre serbe du commerce et des télécommunications, Rasim Ljajić.
50 D’où la recherche par la Serbie d’un niveau de compétences maximum – y compris législatives et exécutives – pour l’Association/Communauté de municipalités à majorité serbe au Kosovo, rapprochant celle-ci d’une entité fédérée. L’appréciation du succès ultime de telles revendications au regard du rapport de forces existants dans la négociation est un autre débat.
51 Par exemple sous la forme d’un partenariat privilégié tel que celui existant entre la Serbie et la Republika Srpska (Accord de 1997 sur les relations parallèles spéciales), ou bien au moyen de la participation prévue de la Serbie au financement des institutions de l’Association/Communauté.
52 V. la conclusion de l’ouvrage Новинари то могу III, op. cit., 2013, pp. 168-169 : les médias taisent le fait « que l’accord est la reconnaissance indirecte de la souveraineté du Kosovo et de son indépendance de la Serbie, visible également dans la disposition de l’accord que « aucune partie n’empêchera, ou n’encouragera d’autres à empêcher l’accès à l’intégration européenne ». Par cet accord, la Serbie a en pratique reconnu la Constitution et les lois du Kosovo, ce qui se produit dès lors que se conclut un accord international. » De manière générale, la liberté des medias en Serbie est restreinte, le gouvernement conservant une certaine influence sur le discours des medias dominants. Cette situation peut expliquer le fait que les textes de l’Accord de Bruxelles et du Plan d’application n’aient été quasiment pas publiés et que les medias aient propagé une version officielle des faits démentant notamment les concessions faites par la Serbie au cours du dialogue.

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