Pourquoi faut-il une politique particulière de protection des personnes handicapées ?

Ecrit par Jean Albert, Ludivine Tomasso, Jean-Baptiste Merlin

Mercredi, 17 Novembre 2010 08:11

Il existe aujourd’hui plus de 650 millions de personnes handicapées dans le monde . L’accès à l’éducation, au monde du travail, et l’intégration à la société plus généralement, est très difficile pour ces personnes.
Afin de protéger et de garantir leurs droits, différents systèmes ont été mis en place au niveau international et également européen.  La Commission Européenne propose notamment un nouveau plan.

I.            La protection des personnes handicapées en droit international

a.      La convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées
La convention a été adoptée le 13 décembre 2006 par l’Assemblée générale de l’ONU.
Elle est entrée en vigueur le 3 mai 2008, trente jours après avoir été ratifiée par le vingtième pays.
Elle ne crée pas de nouveaux droits mais réaffirme la volonté de promouvoir, de protéger et de garantir les droits fondamentaux des personnes handicapées. Elle envisage pour la première fois le handicap comme enjeu des droits de l’Homme.
Cette convention a été adoptée après 4 ans de négociation, devenant la première convention adoptée au vingt et unième siècle.
Pour l’instant, la Convention a été signée par 140 pays et le protocole facultatif a été signé par 90 pays. 95 pays l’ont ratifiée et 58 pays ont ratifié le protocole.
La notion de handicap est définie à l’article 1 de la convention: « Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ».
  • Le contenu
La convention compte 50 articles.
Elle définit plusieurs principes directeurs :
–          Le respect de la dignité, de l’autonomie individuelle (notamment la liberté de faire ses propres choix) et l’indépendance des personnes
–          La non-discrimination
–          La participation et l’intégration pleines et effectives à la société;
–          Le respect de la différence et l’acceptation des personnes handicapées comme faisant partie de la diversité humaine et de l’humanité;
–          L’égalité des chances;
–          L’accessibilité, l’article 9 prévoit en effet que les pays doivent garantir l’accès à l’environnement, aux transports publics…;
–          L’égalité entre les hommes et les femmes;
–          Le respect du développement des capacités de l’enfant handicapé et le respect du droit des enfants handicapés à préserver leur identité.
Le protocole facultatif se compose quant à lui de 18 articles et permet aux particuliers d’adresser une requête au Comité des droits des personnes handicapées si tous les recours au niveau national ont été épuisés.
  • Les organismes créés par la Convention :
Les articles 34 à 39 prévoient la création du Comité des droits des personnes handicapées composé de 18 experts indépendants (aujourd’hui le nombre d’experts est de 12, et passera à 18 quand 60 pays supplémentaires auront ratifié la convention). Les experts ont un mandat de 4 ans.
Les Etats signataires de la Convention se réunissent au sein d’une Conférence des Etats-parties tous les deux ans, sauf en cas de demande exceptionnelle. Cette conférence permet d’examiner les problèmes liés à l’application de la Convention et d’élire les membres du Comité.
b.     Les instruments juridiques en matière de protection des personnes handicapées dans l’Union européenne
  • La directive 2000/78/EC du 27 novembre 2000 relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
Elle interdit la discrimination basée sur les croyances religieuses, l’âge, l’orientation sexuelle et plus particulièrement la discrimination basée sur le handicap ainsi que le harcèlement. De plus, elle rend nécessaire la réalisation « d’aménagement raisonnable » pour la personne handicapée.
  • La jurisprudence de la CJCE (affaire C-13/05, C-303/06)
Concernant d’abord l’affaire C-13/05, arrêt de la Cour du 11 juillet 2006 Sonia Chacón Navas/Eurest Colectividades SA.
C’est la première fois que la Cour se prononce sur une affaire relative à la directive 2000/78/EC.
Mme Chacón qui travaille pour la société Eurest Colectividades a été placée en arrêt maladie le 14 octobre 2003. Le 28 mai 2004, la société la licencie sans motif et lui offre comme prévu dans la loi espagnole une indemnité de licenciement.  Elle saisit le tribunal de Madrid (el juzgado de lo Social) car elle souhaite être réintégrée.
La société de la plaignante ne pouvant démontrer que le licenciement résulte d’une autre raison que l’arrêt maladie de la plaignante, le licenciement est déclaré injustifié mais non nul.
Le juge espagnol estimant que la plaignante pourrait bénéficier d’une protection supplémentaire par la directive européenne a renvoyé en question préjudicielle.
La Cour de justice des Communautés européennes a donc été saisie pour savoir si la directive s’appliquait dans son cas.
La Cour, dans ses conclusions, a estimé qu’une personne licenciée alors qu’elle était en arrêt maladie n’est pas considérée comme une personne handicapée au sens de la Directive 2000/78/EC et ne bénéficie donc pas des dispositions y contenues.
La Cour a par ailleurs apporté des précisions concernant le champ d’application de la Directive 2000/78/EC en définissant plus clairement la notion de handicap par opposition à la simple maladie.
Lors de cette affaire, la Cour a donné des repères concernant la définition du handicap lors de l’application de la Directive en précisant qu’elle inclut la « limitation fonctionnelle découlant d’une déficience physique ou psychique et le contexte et l’évolution médicale et biomédicale ».
Affaire C-303/06 Arrêt de la Cour (grande chambre) du 17 juillet 2008 (demande de décision préjudicielle du Employment Tribunal – Royaume-Uni) – S. Coleman / Attridge Law, Steve Law.
En 2002, Mme Coleman donne naissance à un enfant handicapé qui requiert des soins constants.  Pour subvenir aux besoins de sa famille, Mme Coleman est employée dans un cabinet d’avocats depuis 2001.  A son retour de congé maternité, son employeur refuse de la réintégrer à son ancien poste de secrétaire juridique aux horaires non aménagés.  Compte tenu du handicap de son enfant et de ses besoins, Mme Coleman aurait dû bénéficier d’une souplesse dans ses horaires de travail.  Mise au pied du mur, elle accepte en 2005 une mise au chômage « volontaire ».
Elle saisit alors la justice, sous le prétexte d’avoir fait l’objet d’un licenciement implicite car elle a été traitée de manière différente que ses collègues.
L’Employement Tribunal of South London estime après l’examen des faits que cette affaire relève de l’interprétation de question du droit communautaire, le tribunal saisit la Cour.
La Cour  conclut après examen des faits que l’interdiction de discrimination directe établie par la directive s’applique également aux personnes qui ne possèdent pas de handicap. En effet, si un employé est traité de manière moins favorable qu’un autre parce que son enfant est handicapé, alors le cas relève de la directive.
De plus, l’interdiction de harcèlement introduite par la directive s’applique également dans le cas où le harcèlement intervient pour une personne dont l’enfant est handicapé.
La Directive ne possède pas de définition précise de la notion de « handicap », c’est pourquoi la jurisprudence permet de définir plus précisément les cas pour lesquelles la Directive s’applique. D’autres affaires viendront définir encore ses domaines d’application.
  • La décision du conseil de l’Union Européenne du 26 novembre 2009 concernant la conclusion par l’Union Européenne de la Convention des nations unies sur les droits des personnes handicapées 2010/48/EC.
L’union Européenne a signé la convention en 2007 en même temps que tous les pays européens.
Les pays de l’Union Européenne ayant ratifié la convention sont : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, la  Lituanie, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, le Royaume-Uni et  la République tchèque. Dans les autres pays, elle est en cours de ratification.
Une fois ratifiée par tous les Etats, elle aura un caractère contraignant et fera partie de son ordre juridique.

II.            La politique de l’union européenne en matière de protection des personnes handicapées

On dénombre aujourd’hui environ 45 millions de personnes souffrant d’un handicap au sein de l’Union européenne, et le vieillissement de la population entraine une augmentation du nombre des personnes handicapées.
Ainsi, des politiques spécifiques sont nécessaires pour faciliter une vie en société qui n’engendre pas pour les personnes handicapées de discrimination.
Le taux d’activité des personnes handicapées reste très faible et cela est dû en grande partie aux difficultés qu’ont les personnes handicapées à faire valoir leurs capacités et leurs compétences dans des sociétés principalement structurées pour des personnes non handicapées.  Dès lors que les sociétés s’ouvrent plus aux personnes handicapées, elles représenteraient une force de travail non négligeable.
a.      La politique mise en œuvre pour la période 2003-2010,  European Union Disability Action Plan (DAP)
La décision de faire de l’année 2003 l’année européenne des personnes handicapées a permis de mettre en évidence les difficultés vécues au quotidien par ces personnes et le besoin d’uniformiser les politiques au niveau européen.  2003 a donc marqué le début d’une politique ciblée de la Commission Européenne qui a dressé un plan d’action sur 7 ans et publié de nombreuses communications.
  • La communication de la commission européenne sur l’Egalite des chances pour les personnes handicapées : un plan d’action européen COM (2003) 650 final
Le plan mis en place en 2003 se concentre sur trois objectifs à atteindre pour 2010 :
–       renforcer l’efficacité de la directive 2000/78/EC ;
–       intégrer davantage la question du handicap dans les politiques européennes ; et
–       promouvoir l’accessibilité pour tous.
Ce plan se compose de plusieurs parties.
La première se concentre initialement au niveau de l’accès à l’emploi pour la période 2004-2005 avec les objectifs suivants :
–       l’accès à l’emploi et le maintien dans la vie active, y compris la lutte contre la discrimination ;
–       l’éducation et la formation tout au long de la vie, afin de soutenir et de renforcer la capacité d’insertion professionnelle, la capacité d’adaptation, l’épanouissement personnel et la citoyenneté active ;
–       les nouvelles technologies, afin de rendre les personnes handicapées plus autonomes et donc de leur faciliter l’accès à l’emploi ;
–       l’accessibilité de l’environnement public bâti, afin d’améliorer la participation au travail et l’intégration dans l’économie et la société.
De plus, le programme d’action communautaire de lutte contre la discrimination 2001-2006 rend possible le financement par la Commission de réseaux, de conférences … afin de favoriser la lutte contre la discrimination liée au handicap. Ce programme finance également certaines ONG comme le Forum européen des personnes handicapées.
  • Deuxième Communication de la Commission du 28 novembre 2005 intitulée «La situation des personnes handicapées dans l’Union européenne élargie: plan d’action européen 2006-2007» COM(2005) 604 final
Cette deuxième communication couvre la période 2006-2007.
Elle vise en particulier l’intégration au sein de la société et la recherche de l’autonomie pour les personnes handicapées. Elle définit donc quatre priorités :
–       encourager l’activité professionnelle ;
–       promouvoir l’accès à une assistance et à des services de soins de qualité ;
–       promouvoir l’accessibilité pour tous aux biens et aux services ;
–       accroître la capacité de collecte et d’analyse de l’Union.
  • Communication de la Commission du 26 novembre 2007 intitulée «La situation des personnes handicapées dans l’Union européenne: plan d’action européen 2008-2009 [COM(2007) 738
La troisième phase du plan  couvre les années 2008 et 2009. Cette phase s’axe sur l’accessibilité en général et la Commission Européenne se concentre sur deux objectifs :
–       œuvrer pour une participation favorisant l’inclusion des personnes handicapées par l’accessibilité : éliminer les obstacles à l’éducation et au marché du travail, développer l’accessibilité aux biens, aux services et aux infrastructures, renforcer la capacité d’analyse de la Commission pour promouvoir l’accessibilité ;
–       travailler pour une pleine jouissance des droits fondamentaux : favoriser la mise en œuvre de la convention des Nations unies, et compléter le cadre législatif communautaire pour la protection contre la discrimination.
b.     La nouvelle stratégie de la commission européenne 2010-2020 en faveur des personnes handicapées: un engagement renouvelé pour une Europe sans entraves
Une nouvelle stratégie est à l’étude et couvrira la période 2010-2020.
Le nouveau plan de la Commission Européenne du 15 Novembre 2010 s’inscrit dans le cadre de la Résolution du Conseil de Juin 2010 et s’inspire des principes de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, de la Charte de droits fondamentaux de l’Union Européenne et de l’expérience du premier plan mis en œuvre entre 2003 et 2010.
Le plan s’intéresse particulièrement à huit domaines : accessibilité, égalité, emploi, aide sociale, santé, éducation, participation et action extérieure.
L’accessibilité, car elle constitue un préalable pour favoriser la participation à la société et à l’économie, doit constituer une priorité pour les Etats membres. Il faudra améliorer l’accessibilité aux services publics (bâtiments ainsi que transports en commun), aux technologies et également aux systèmes d’information et de communication.
Le plan propose donc la mise en place de normes spécifiques d’ici 2012 en consultation avec les pays membres.
La participation des personnes handicapées doit être améliorée de manière à ce qu’elles puissent exercer leurs droits fondamentaux.
La politique de l’Union Européenne consistera à :
  • Favoriser l’exercice des droits des personnes handicapées et faciliter leur déplacement au sein de l’Union Européenne en mettant notamment en place une carte européenne de stationnement pour personnes handicapées.
  • Réorienter les soins hospitaliers vers des soins de proximité et développer l’hébergement des personnes handicapées dans des résidences spécialisées compétentes pour traiter les différentes formes d’handicap.
  • Favoriser la participation aux manifestations sportives en développant ? des rencontres sportives spécialement pour elles.
  • Développer l’usage du braille et du langage des signes par les institutions européennes, et veiller à assurer l’accessibilité aux bureaux de vote et à la culture en général.
De plus, la Commission s’engage à soutenir les actions des pays membres qui vont dans ce sens.
Concernant l’égalité, la discrimination fondée sur le handicap doit être éradiquée en s’appuyant notamment sur la directive 2000/78/CE.
Pour l’accès à l’emploi, la Commission prévoit de le faciliter en mettant en place des mesures pour la formation et l’accès sur le lieu de travail pour ainsi permettre aux personnes handicapées de gagner leur vie sur le marché du travail ordinaire.
Pour l’éducation, le plan prévoit d’augmenter la scolarisation des jeunes adultes handicapés car leur taux de déscolarisation est plus élevé que celui de personnes ne souffrant d’aucun handicap. Il prévoit également de promouvoir l’accès à la formation tout au long de la vie.
Concernant la protection sociale, elle doit être utilisée afin de permettre aux personnes handicapées de bénéficier de conditions de vie décentes. Le plan prévoit donc d’examiner les frais de mise en œuvre d’un tel objectif.
Dans le domaine de la santé, les Etats devront assurer l’égalité d’accès aux services de santé et aux établissements qui délivrent ces services. Le plan prévoit donc le soutien aux Etats membres pour qu’ils puissent mettre en place les mesures adéquates.
L’action extérieure consistera à promouvoir les droits des personnes handicapées dans toutes les actions entreprises, notamment en ce qui concerne le dialogue avec les pays tiers. Les Etats membres devront donc promouvoir la convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU et œuvrer dans son sens.
Afin de garantir l’efficacité de ce plan, plusieurs mesures sont prévues.
D’abord, la mise en place d’une campagne de sensibilisation dans les pays est nécessaire et l’accès aux informations pour les personnes handicapées concernant leurs droits doivent être amélioré.
Ensuite, les instruments de financement de l’Union européenne doivent être utilisés de manière efficace et les programmes de financement doivent être publiés de manière plus visible.
Enfin, des instruments d’évaluation et de recueil de données doivent être mis en place afin de permettre un suivi plus efficace.
Cependant, selon le forum européen des personnes handicapées, deux éléments clefs manquent à l’appel dans cette stratégie :
  • Les Etats membres n’ont pas été pas impliqués dans la détermination du plan posé par la Commission alors que leurs actions et initiatives constituent un élément important des politiques de lutte contre l’exclusion et que leur collaboration est essentielle pour la mise en œuvre efficace du plan;
  • Les organisations représentant les personnes âgées ne sont pas assez incluses dans le processus de décision.

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